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l’enseignement primaire, tel qu’on le donne aujourd’hui. Il s’y joint, pendant cinq heures par jour, l’apprentissage d’une des professions suivantes : sculpture sur bois, typographie, lithographie, menuiserie, cordonnerie, horticulture. Déjà, d’ailleurs, les petits élèves, trop faibles pour manier des outils pendant beaucoup d’heures par jour, trop peu avancés pour qu’on les distraie longtemps de leurs études intellectuelles, sont préparés à l’enseignement professionnel au moyen de ce qu’on appelle, dans l’institution, les exercices manuels. En première année, ce sont surtout des exercices ou jeux dans le genre Frœbel (constructions au moyen de cubes en bois, dressage, découpage, etc.) ; en deuxième, troisième et quatrième année, c’est du modelage et un travail rudimentaire du bois. L’heure réservée chaque jour à ces exercices est une diversion utile à l’enseignement principal, celui de l’articulation et de la langue.

On devine d’avance la difficulté de cet enseignement et combien il demande, de la part des maîtres, de patience et de bonté maternelle. C’est bien, en effet, le rôle d’une mère que joue ici le professeur. A neuf ou dix ans, l’intelligence de ces malheureux enfans n’est pas plus développée que celle d’un enfant ordinaire âgé de trois ans. Dans un beau livre, qui est comme le bréviaire de toutes les institutions de sourds-muets, Méthode pour enseigner aux sourds-muets la langue française sans l’intermédiaire du langage des signes, un grand pédagogue, J.-V. Valade-Gabel, directeur honoraire de l’institution nationale des sourds-muets de Bordeaux, ancien professeur à l’institution de Paris, cite ces paroles de l’abbé Sicard : « Imiter la mère et tout ce qui entoure l’enfance, tel devrait être le premier soin de l’instituteur des sourds-muets. » — « L’enfant privé de l’ouïe, dit Valade-Gabel, ce n’est pas seulement un enfant à instruire, c’est un être moralement incomplet… Lorsque, à l’âge de dix à douze ans, le sourd-muet est amené à l’école, toutes ses facultés sont engourdies, il n’a contracté aucune habitude d’ordre et de soumission ; il n’ignore pas seulement les formes du langage, il est étranger à la plupart des idées qui en sont le fond. Lui enseigner à lire, c’est lui enseigner à penser. « Il faut donc, suivant l’expression d’un autre ami des sourds-muets que nous avons déjà cité, M. Théophile Denis, reprendre l’œuvre de la mère. « C’est notre mère qui nous a donné la parole, qui a vivifié notre âme. Il faut que l’instituteur remplace la mère du sourd-muet, pauvre, laborieuse, sans loisirs, impuissante à consommer ce miracle. » Et il le consomme, et l’expérience lui permet de proclamer, avec Valade-Gabel, que, loin de suivre une absurde routine, les mères emploient un ensemble de