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société… Vous leur serez indulgens, si vous songez qu’il suffit, dans leurs discours, d’un mot mal prononcé, d’une syllabe mal articulée, d’un son omis ou déplacé pour dérouter notre oreille ; vous leur serez indulgens, si vous songez à tout ce qu’il leur a fallu faire d’efforts pour vous donner la joie de les entendre. »

Ce n’est pas assez, d’ailleurs, de cette indulgence bien facile et bien douce, qui les enhardit et les rassure autant que la moquerie les blesserait et « fermerait des lèvres qu’on a eu tant de peine à ouvrir. « Il faut encore savoir se faire comprendre d’eux ; et, sur ce point, nous transcrivons les excellentes recommandations de M. Dupont : « N’oubliez pas que toute l’attention de leurs yeux devra être attachée aux mouvemens de vos lèvres pour y saisir l’expression de votre pensée. Ayez soin de vous placer en face d’eux, et de telle sorte que votre visage ne soit pas dans l’ombre. Tous les gestes, tous les mouvemens des bras ou du corps que vous feriez en leur parlant auraient pour résultat de distraire leur regard, de diviser leur attention, de les empêcher de recueillir vos paroles. Imitez donc l’immobilité du maître s’adressant à ses élèves ; et, comme lui, exprimez-vous lentement, sans découper les mots en syllabes, distinctement, sans en exagérer la prononciation. »

Le triomphe de la méthode nouvelle est donc définitif ; il est justifié par des résultats certains, incontestables. Le miracle de l’Évangile est accompli ; « les muets parlent, les sourds entendent, » ou du moins comprennent. Il n’en est pas ainsi encore pour tous les malheureux qu’a frappés en naissant cette terrible infirmité. La France compte 30,000 sourds-muets. La plupart de ceux qui sont arrivés à l’âge mûr ou à la vieillesse n’ont pas reçu le bienfait d’une instruction, même imparfaite ; ou bien ils ont été formés par la méthode des signes, qui, dans mille circonstances de la vie, leur est d’un faible secours. Mais, depuis une quinzaine d’années, les progrès sont sensibles. D’après une statistique récente, il existe chez nous trois institutions nationales de sourds-muets : celle de Paris, exclusivement destinée aux garçons ; celle de Bordeaux, réservée aux filles ; et celle de Chambéry, qui nous a été léguée après l’annexion, et qui contient une soixantaine de garçons et une trentaine de filles. En outre, sur toute la surface de notre pays, sont répandues soixante-sept institutions départementales ou privées, dont quarante-six sont dirigées par des frères ou des religieuses. Quatre ont conservé l’ancienne méthode : l’institution Dubois, à Paris, qui, en 1886, ne comptait que 4 élèves ; l’école de M. Forestier, à Lyon, fondée en 1824 par un sourd-muet, et dont la population était, il y a quatre ans, de 64 élèves (33 garçons et 31 filles) ; l’école de Saint-Laurent ès Royans (Drôme),