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mimique a disparu de l’institution. Le saint prêtre ne s’en plaindrait pas : revenu à la vie, il applaudirait le premier à cette transformation, lui dont on cite les paroles suivantes : « Les sourds-muets ne seront vraiment rendus à la société qu’au jour où ils pourront s’exprimer par la parole et lire sur les lèvres d’autrui. »

Pourquoi donc avait-il adopté l’enseignement par signes conventionnels ? Pourquoi n’avait-il pas travaillé à réaliser ce mot d’un autre éducateur des sourds-muets, son contemporain Rodrigues Pereire : « Désormais, il n’y aura plus de sourds-muets, il y aura des sourds parlans. » C’est que l’abbé de l’Épée ne pouvait faire ce qu’a fait Pereire. La tâche de celui-ci s’est bornée à instruire successivement une douzaine d’enfans riches, qu’il suivait isolément, à chacun desquels il a pu donner tout son temps ; l’abbé de l’Épée, au contraire, sans autres ressources que son zèle et les secours de la charité publique, s’est consacré tout entier aux enfans des pauvres, qui bientôt affluèrent autour de lui. Il en eut d’abord soixante-quinze, qu’il distribua dans quatre grands pensionnats et qu’il faisait venir, pour leur donner des leçons, dans son modeste logement de la rue des Moulins. Plus tard, quand le roi Louis XVI eut pris sous sa protection cette généreuse entreprise (1778), et que le pensionnat eut été installé par un décret (1785) dans l’ancien couvent des Célestins, au Marais, l’abbé de l’Épée était seul ou presque seul pour élever cette population nombreuse, composée en majorité d’enfans infirmes et misérables. Or la méthode orale, dont Pereire ne voulait d’ailleurs livrer le secret qu’à prix d’argent, demande des soins, sinon individuels, du moins distribués à un très petit groupe d’enfans ; il faut des maîtres nombreux et préparés à cette tâche. Ce que l’État fait aujourd’hui avec ses larges ressources, le pauvre prêtre ne pouvait le faire ; il n’avait le moyen ni de recruter les professeurs, ni de les former, ni de payer leurs services. La méthode dactylologique lui permettait d’instruire à la fois un grand nombre d’enfans ; elle lui permettait de choisir parmi les sourds-muets des élèves d’élite, de constituer avec eux comme un séminaire destiné à lui donner des auxiliaires, des collègues, des successeurs. En 1887, l’institution des sourds-muets de Paris comptait encore parmi ses maîtres les plus distingués des sourds-muets qui d’abord y avaient été élèves.

Voilà comment la méthode mimique a été établie par l’abbé de l’Épée, comment, à sa mort, le 23 décembre 1789, elle avait pris racine ; comment elle fut continuée après lui par un autre homme de bien, l’abbé Sicard ; comment, depuis 1794, époque où le pensionnat fut transféré dans son domicile actuel, l’ancien séminaire Saint-Magloire, rue Saint-Jacques, la tradition, l’habitude, l’esprit