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Il verrait que ses conseils ont été écoutés et qu’il y a aujourd’hui moins de disproportion qu’en 1873 entre les services rendus et le salaire de ces services. Il verrait encore que la physionomie de la maison et des enfans a changé. Tout lui paraissait triste et morne ; il sortait de là le cœur serré ; aujourd’hui, il quitterait, comme nous, les élèves et l’institution attendri, charmé, plein de reconnaissance pour les hommes de bien, directeur, censeur, professeurs, aumônier, médecins, qu’il aurait vus à l’œuvre et consolés, au milieu des misères de notre temps, par le spectacle de ces belles œuvres et des miracles qu’opèrent l’humanité, la bonté, l’amour de l’homme et de Dieu. Les beaux livres de M. Du Camp sur la charité nous en ont donné déjà d’admirables exemples ; l’institution des sourds-muets en fournit de non moins touchans.


I

Malgré le changement des méthodes, l’apôtre des sourds-muets a été et restera toujours l’abbé de l’Épée, qui a sa place à côté de ces grands bienfaiteurs de l’humanité : saint Vincent de Paul, J.-B. de la Salle, l’instituteur des enfans pauvres ; Wilberforce, l’émancipateur des nègres ; Valentin Haüy, l’éducateur des aveugles. La vie de l’abbé de l’Épée a été retracée avec étendue par M. Du Camp. Il regrettait qu’une statue du saint prêtre ne s’élevât pas dans la cour d’honneur de l’institution. Son vœu a été entendu : aujourd’hui, en entrant, à côté de l’orme célèbre planté, dit-on, par la main de Sully, et dont les cinquante mètres dominent tout Paris, il trouverait une belle statue en bronze, œuvre d’un sourd-muet, Félix Martin. L’abbé de l’Épée y est représenté debout, tenant de sa main gauche la page d’un manuscrit sur lequel est tracé en gros caractères le mot Dieu ; sa main droite montre ce mot à un enfant dont les yeux sont fixés sur le livre ; il le lui enseigne en dactylologie. Partout, d’ailleurs, dans la maison, on rencontre son portrait, son buste, des tableaux qui représentent quelques nobles traits de sa vie ou la scène touchante de sa mort.

Mais, si l’on conserve pieusement, à l’institution des sourds-muets, le souvenir et le culte de l’abbé de l’Épée, on a, nous l’avons dit, abandonné sa méthode. Dès l’année 1880, tous les élèves nouveaux ont été soumis à l’enseignement oral ; les autres ont dû, nécessairement, continuer comme ils avaient commencé ; à leur départ, en août 1887, ce qui restait encore d’enseignement