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aux portes de Cape-Town, à Blauwberg. Ils tenaient alors à peu près la moitié de ce qui forme la colonie actuelle. La population d’origine néerlandaise, coupée d’un sixième de sang français, n’était pas très nombreuse, — 30,000 personnes, s’il faut en croire les documens de l’époque ; — mais des mesures énergiques avaient supprimé la langue française, tandis que les colons enseignaient celle de van Riebeek, fondateur de Cape-Town ou Kaapstad, aux 25,000 esclaves et aux 15,000 Hottentots recensés vers le même temps par l’administration locale. Cette adoption du hollandais par les gens de couleur eut d’importantes conséquences. Elle fit plus, pour conserver et répandre l’idiome des premiers conquérans, que l’action de l’Église ; c’est un des points par où l’histoire du Cap diffère de celle du Canada. Calvinistes et anglicans étaient autrement voisins que protestans et catholiques ; le méthodisme wesleyen jetait une passerelle par-dessus la crevasse. Les membres du clergé hollandais, dans les villes, se piquèrent volontiers de correspondre en anglais avec leurs pieux amis d’Angleterre ou d’Ecosse ; quand il leur fallait un maître d’école, ils le trouvaient plus facilement dans le royaume-uni que chez eux. Mais le peuple, et cela signifiait les colorés, continua de s’en tenir à la langue qu’une fois apprise il ne devait plus oublier. Le gouvernement a pu changer de mains ; des colons britanniques ont pu s’établir dans la contrée, des colons allemands s’y installer ; l’esclavage a pu être aboli par un Anglais, lord John Russell, à la voix éloquente d’un autre Anglais, William Wilberforce ; la Grande-Bretagne a pu apporter aux parias de notre espèce les droits civils et des droits politiques ; des missionnaires de vingt sectes diverses ont pu travailler à la diffusion de l’anglais : anglicans, wesleyens, presbytériens, congrégationalistes, baptistes, évangéliques, moraves, luthériens et même catholiques romains ; des boers ont pu rougir de leur pigeon dutch, de leur hollandais créole, envoyer leurs filles au pensionnat anglais, leurs fils au collège anglais : tout cela n’a pas empêché le hollandais, un certain hollandais, de rester maître des deux tiers de la colonie. Le malais des premiers esclaves, venus de l’archipel de la Sonde, ne leur servait de rien, si ce n’est à prier Allah ; il devait disparaître. Seuls, quelques prêtres, qui le marmonnent encore dans d’humbles mosquées, en le mélangeant d’arabe, nous diraient peut-être si ce fut du javanais ou du bouguis. Le hottentot est une langue morte ; il a bien fait de mourir. Avec ses clics affreux, il ne méritait pas de vivre[1]. Ainsi prit vite

  1. On appelle clics des claquemens singuliers de la langue dans la prononciation de certains mots.