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autre est en train, la future ligne du Zambèze, le Transkalaharien. Ce nom la caractérise exactement puisqu’elle traversera le Kalahari, le grand désert de l’Afrique australe ; mais il faut se hâter de le dire, les difficultés d’exécution n’approchent pas de celles d’un transsaharien ni même d’un transcaspien. Le tracé, tout indiqué, suit la route commerciale actuelle en longeant les frontières transvaaliennes sur la lisière orientale du désert ; il y a là une zone constituant la partie habitable du Betchouanaland, ingrate, sans doute, moins pourtant que le reste et surtout que le Sahara. On évitera le territoire de la seule grande peuplade à redouter, les Matébélés ; au lieu de Touaregs ou de Turcomans, on ne rencontrera que des noirs amis ou inoffensifs. Comme, néanmoins, il s’agit de franchir huit degrés géographiques avant d’atteindre la région fertile et bien arrosée, ce sera une œuvre intéressante à suivre dans ses progrès. Voici quelques détails sur ses origines.

L’idée première de cette ligne est purement politique. En Allemagne avait paru le projet d’un chemin de fer qui devait partir des possessions allemandes du sud-ouest africain pour aboutir à Lourenço Marques, sur l’Océan-Indien, en traversant le Transvaal. Il fallait prendre les devans ou se résigner à perdre un vaste hinterland. Alors naquit la pensée du Transkalaharien ; mais qui le construirait ? Il se présenta un syndicat anglais qui voulait traiter directement avec le gouvernement de Londres parce que les pays où l’on aurait à poser des rails ne dépendent pas encore du Cap : ils ont une administration britannique ou sont protégés par l’empire. Ce groupe financier envoya même au sud-Afrique un ingénieur, sir Charles Metcalf. Pour construire en trois ans une première et modeste section de 273 kilomètres, il posait les conditions suivantes : moitié du revenu de toutes mines découvertes ou à découvrir ; droit de lever des taxes d’irrigation ; droit de percevoir une taxe foncière spéciale sur les terres situées dans un rayon de quinze milles de chaque côté de la ligne ; concession de 89,000 hectares. Or la taxe foncière aurait rapporté environ 40,000 francs ; la concession d’hectares ne représentait guère qu’un million de notre monnaie ; les mines étaient hypothétiques ; l’irrigation pouvait ne rien produire, et le chemin de fer devait coûter 30 millions avec la certitude, comme disait quelqu’un, de ne pas faire assez de recettes pour payer le graissage des essieux. Dans ces circonstances, il était clair qu’une compagnie échouerait, que le gouvernement métropolitain prendrait l’affaire à sa charge et qu’on aurait alors dans l’Afrique du Sud un chemin de fer d’État purement britannique, ce qui ne pouvait pas convenir au ministère afrikandériste du Cap. Quand M. Rhodes fonda la grande compagnie privilégiée qui se