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situation n’a rien de mauvais, au contraire, et le Cap possède un outillage économique très digne d’attention, grâce au crédit dont nul ne lui reprochera d’avoir abusé.

Quant au système de construction et d’exploitation des chemins de fer par l’État, il a porté d’excellens fruits. On a racheté, on rachète ou l’on rachètera les rares lignes autrefois concédées à des compagnies ; celles qui subsistent encore manquent absolument d’importance ou bien elles marchent mal, une exceptée, celle des mines de cuivre du Namaqualand colonial ; mais ce n’est, sur la moitié de son parcours, qu’un tramway à traction de mulets ou à plans inclinés permettant d’utiliser la force de gravitation. En somme, ces chemins de fer méritent des éloges. Ils ne vont pas bien vite, et l’express de Kimberley met trente-deux heures à franchir son millier de kilomètres, le train omnibus quarante et une ; nous en mettrions dix-huit ou trente-six. Vous ne passez jamais au travers d’une montagne, vous la tournez ou vous l’escaladez. Mais la sécurité est grande, il n’arrive presque jamais d’accident ; on écrase des moutons sans même s’en apercevoir. Le kilomètre a coûté, l’un dans l’autre, 221,000 francs. Ce n’est pas trop auprès des prix payés par certaines colonies australiennes, Victoria, par exemple, — 343,000, — ou la Nouvelle-Galles, — 310,000. La Nouvelle-Zélande, Queensland et l’Australie du sud s’en tirent à meilleur marché. Il y a des lignes improductives ; cependant le réseau donne un excédent net. L’État pouvait et devait tenir compte de divers besoins locaux. En dernier lieu, et ce n’est pas le moindre point, il a édicté des tarifs de concurrence ou de protection. Certaines infériorités commerciales, tenant à une simple question d’éloignement kilométrique, ont été compensées avec discernement. Le barème des chemins de fer a permis d’assurer des primes indirectes à l’exportation, et les produits indigènes voyagent à plus bas prix que les marchandises étrangères.


Au début plein de promesses de l’ère nouvelle succéda pourtant une crise pénible. Quelqu’un a dit de l’Afrique australe que c’est le pays où il y a toujours une fête ou une famine. L’histoire la plus récente confirme cette observation. Le diamant avait tourné bien des têtes et sa valeur avait baissé en Europe à mesure qu’il devenait plus commun. Puis on s’était jeté sur la production d’un autre objet de luxe, les plumes d’autruche. Partout se créaient des autrucheries : un caprice de la mode, la dépréciation soudaine de ces plumes souvent peu choisies suffirent pour désenchanter les éleveurs du Cap. Les vraies sources de richesses, l’oviculture et l’agriculture, avaient été un peu délaissées ; il y eut de nombreuses