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électoral ne serait donc provoquée qu’à de rares intervalles et dans des cas très exceptionnels. Mais enfin dans quels cas ? Le referendum pourrait être utilement employé dans les circonstances suivantes.

Il s’agirait, le cas échéant, de venir en aide au parlement lui-même. Les deux chambres auraient voté, nous le supposons, une bonne loi que combattrait à outrance une minorité bruyante, armée de pied en cap, soutenue par de puissans journaux : attaquées avec violence, elles sentiraient leur prestige et leur crédit s’amoindrir. Le roi, convaincu que l’agitation est factice et ne trouve pas d’écho dans les profondeurs du pays, consulterait le corps électoral : quel appui pour la représentation nationale ! quel moyen décisif de fermer la bouche aux factions !

Une loi très importante vient d’être adoptée, nous le supposons, à une très faible majorité. Le fait est acquis, et l’opinion publique est manifestement contraire au vote émis par les chambres. Il s’agit, par exemple, d’une loi qui viole la liberté de conscience ou qui soumet à certaines mesures préventives-le droit d’association garanti par l’article 20 de la constitution ou qui compromet la neutralité belge. La manifestation de l’opinion devient si générale et si claire qu’on peut se demander si le parlement lui-même ne regrette pas son vote. Le prince, sollicité de refuser sa sanction, est enchaîné par la pratique constitutionnelle et ne pourrait, d’ailleurs, exercer son droit sans être accusé de convoiter l’héritage des Césars. Il appelle le corps électoral au secours de la couronne et du parlement lui-même.

Une majorité factice, une majorité de pure coalition s’est formée. Cela s’est vu si souvent ailleurs que cela peut se voir même en Belgique. Il est d’ailleurs évident, incontestable, que cette majorité se disloquera le lendemain même de sa victoire, et pourtant il vaut mieux, dans l’intérêt général, éviter une dissolution. Peut-être ne s’agit-il que de renverser un ministère ; mais, pour atteindre ce but, on s’échauffe, on s’égare, on ne se connaît plus ; on vote une loi mauvaise, dangereuse, détestable, uniquement parce que les ministres la repoussent, et la retraite même du cabinet ne peut plus remédier au mal puisque le mal est fait. Il faudra sans nul doute, on le dit tout bas, abroger cette loi, mais pas tout de suite, pour ne pas se désavouer aux yeux du pays et, la loi, jusqu’à ce qu’on l’abroge, produira les pires effets. Le roi, qui plane au-dessus des partis, n’entre pas dans ces calculs, et la nation, qui se soucie peu de changer ou de garder un ministère, émet un avis non au point de vue parlementaire, mais au point de vue national.

Enfin on peut se placer dans l’hypothèse où le pays aurait à