Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/146

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

si la chambre des communes y poursuit sa marche ascendante, les freins peuvent se briser. « En un sens, écrit-on couramment[1], l’Angleterre est une république. » En effet, si la chambre des communes, unique et souveraine maîtresse, efface tout, accapare tout, remplace tout, elle peut mésuser impunément de son immense pouvoir : il suffit qu’elle le puisse pour que l’idéal de la monarchie représentative soit obscurci.

Mais il s’agit de la monarchie représentative belge. Or il importe de remarquer d’abord que celle-ci n’est pas calquée sur la monarchie britannique. Les jurisconsultes belges l’ont dit souvent, et l’un d’eux, M. Dupriez, l’a naguère établi dans un beau livre, d’une façon péremptoire : l’autorité royale n’a pas subi en Belgique la même dépression qu’en Angleterre ; elle y est restée plus intense et plus active. Pourquoi ? Les prérogatives du souverain, expressément inscrites dans des textes précis, sont mieux garanties contre toute contestation et s’imposent plus clairement à l’esprit du peuple. Ensuite les princes qui ont régné jusqu’à présent sur cette nation « possédaient une expérience et une compétence reconnues par tout le monde : » c’est à leur caractère, à leur sens politique, à leur amour du travail qu’ils ont dû l’accroissement de leur influence. Ce qui contribue encore à la maintenir, c’est le nombre restreint des électeurs politiques, par conséquent l’étroitesse même de la base sur laquelle repose aujourd’hui le parlement. Quelle que soit d’ailleurs la cause, l’effet est certain. « Les ministres belges, on le reconnaît donc, doivent avoir pour les opinions du roi plus de considération que leurs collègues anglais. » « Celui-ci peut, si ses simples avis ne sont pas écoutés, trouver dans une inertie calculée le moyen d’exercer son pouvoir modérateur. » « L’usage n’exclut pas d’une façon aussi absolue qu’en Angleterre les communications du souverain avec les personnages politiques qui ne font point partie du ministère. » Le roi peut prêter, de l’aveu général, « une attention toute particulière aux relations de la Belgique avec les pays étrangers, et à la direction de la politique extérieure. » « Enfin, les réformes militaires sont dues généralement à ses efforts : ici, il n’est plus le modérateur, il est l’initiateur par excellence ; tout ce qui touche à l’organisation de la défense du pays a reçu de lui la première impulsion. » Donc cette monarchie représentative a sa physionomie propre ; la royauté belge n’a pas une existence purement nominale, et ne reste pas étrangère à la direction des-affaires publiques : l’équilibre des pouvoirs subsiste et reste le meilleur rempart de la liberté.

  1. Le comte de Franqueville, le Gouvernement et le Parlement britanniques, t. III, p. 545. L’auteur ajoute aussitôt, il est vrai : « Mais une république ayant ce caractère royal que demandait Cicéron. »