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de la monarchie représentative, le projet devrait être écarté. Le gouvernement représentatif est, dans l’ordre politique, un des chefs-d’œuvre de l’esprit humain. En même temps qu’il donne à la nation le moyen d’exprimer, par le choix de ses mandataires, sa volonté sur la direction générale des affaires, il permet de gouverner avec l’opinion, puissance distincte du suffrage. L’opinion, c’est-à-dire le faisceau lumineux des idées, des souvenirs, des sentimens, des espérances qui forment l’âme même d’un pays, se réfléchit dans la représentation nationale. En outre, quand le gouvernement représentatif revêt sa forme la plus parfaite, on arrive, par la pondération des pouvoirs, à la liberté politique, source et garantie de toutes les autres libertés. Or, loin de croire que la proposition du 11 février 1892 trouble, en Belgique, l’économie du régime représentatif, nous inclinons à penser qu’elle rétablit un équilibre nécessaire entre les pouvoirs.

Nos contemporains sont beaucoup trop enclins à croire que l’harmonie du régime n’est pas altérée, tant que l’équilibre n’est rompu qu’au profit des assemblées. Il suffit qu’il soit rompu pour que la liberté soit compromise. A coup sûr, si le chef du pouvoir exécutif attire tout à lui, le régime représentatif n’est plus qu’un mot vide de sens et, quand Cromwell commande, il importe peu qu’un « long-parlement » fasse mine de délibérer. Mais quand la convention nationale concentre entre ses mains les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, l’ombre même du régime s’est évanouie. Ce qui fait la grandeur et la beauté de la véritable monarchie représentative, c’est qu’elle donne du lest à chacune des trois puissances, selon l’expression de Montesquieu, pour la mettre en état de résister aux deux autres ; c’est, pour préciser, que ni le roi ni la chambre basse ni la chambre haute n’y commandent : la pondération des trois pouvoirs garantit contre les empiétemens d’un seul les droits de l’homme et du citoyen, la dignité, la liberté, la sécurité publiques. C’est ainsi que les plus fervens admirateurs de la grande république américaine déplorent à l’envi la récente prépondérance du sénat dans le gouvernement des États-Unis : « Cet envahissement, vient d’écrire un publiciste de premier ordre, appelle les sérieuses méditations des hommes d’Etat, car il tend à rompre l’équilibre des pouvoirs. Il donne lieu à un déplorable trafic d’influences et fausse à plaisir les mœurs publiques. L’opinion s’émeut avec juste raison de ces usurpations qui masquent de déplorables mobiles. Elle doit tout son appui au président quelconque qui aura le courage de lutter contre ces entreprises antidémocratiques et anticonstitutionnelles. » Nous ne trouvons pas non plus, le lecteur voudra bien excuser cet excès d’audace, que tout aille pour le mieux dans l’Angleterre elle-même :