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l’intervention directe du peuple, et nous ne prétendons pas que ce péril soit purement imaginaire. Mais, à notre avis, cette objection comporte une double réponse. D’abord ces manifestations peuvent se produire dans bien d’autres circonstances et l’on n’a jamais proposé d’enlever au roi, par exemple, le droit de dissolution parce qu’une bande de mécontens s’égosillerait à chanter : Dissolution ! sous les fenêtres du palais royal. Ensuite, quand la sommation dégénère en émeute, il faut réprimer l’émeute : c’est le droit et c’est le devoir de tous les gouvernemens.

Peut-être s’exagère-t-on, d’ailleurs, le goût que le peuple belge prendrait aux consultations populaires. En Suisse même, où les habitans ont appris à régler patriarcalement leurs affaires, où tout le peuple des cantons à landsgemeinde se réunit encore dans de grandes vallées pour décider les questions civiles et politiques, où même ailleurs « le désir de participer à la gestion publique est, comme on l’a très bien dit, resté dans le sang » des citoyens, il ne faut pas croire que, sur toute la surface de la confédération, « monseigneur le referendum, » comme disait Carteret, rencontre des serviteurs bien empressés. Par exemple, à Genève, où le referendum facultatif cantonal existe depuis 1879, il n’en a été fait usage que deux fois ; on n’en a pareillement usé que deux fois depuis la même époque dans le canton de Neuchâtel. Or, ainsi que l’expliquait naguère un professeur de Louvain, M. van den Heuvel, si le Belge joint à beaucoup de sens un grand amour de la liberté, « il n’est pas accoutumé à résoudre lui-même les difficultés administratives et sociales, il pratique la division du travail, il concentre son activité dans son industrie ou dans son emploi. » Peut-être n’a-t-il pas été fait de meilleure réponse à ceux qui craignent de voir le referendum populaire germer et grandir à côté du referendum royal. Croit-on que, s’enflammant tout à coup, cette population froide, sensée, laborieuse, dépasse la démocratie suisse par ses éclats de zèle et par l’ardeur de ses revendications politiques ? La royauté devra plutôt, si nous ne nous trompons, faire tout d’abord un certain effort pour obtenir une réponse aux questions que, de loin en loin, elle lui poserait. Cependant elle obtiendrait sans doute ce grand témoignage de confiance et peut-être, en élevant ainsi la démocratie belge à la conception plus claire des intérêts généraux, remporterait-elle une victoire sur l’armée du désordre. Loyalement interrogée, donnant en toute liberté son avis sur quelques grandes affaires, cette démocratie éprouverait d’autant moins le besoin de tout absorber et de briser un système de gouvernement dans lequel elle aurait sa place.

Cependant, s’il fallait sacrifier même à l’espoir légitime d’une entente entre la démocratie et la couronne les principes essentiels