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pas sa puissance. La royauté belge a le choix entre deux partis : vivre sans elle, vivre avec elle. Est-il possible de vivre sans elle ? Nous en doutons fort. Quand la royauté manifeste l’intention de se mettre en communication directe avec la nation, c’est en apparence une tentative hardie, c’est probablement un acte de sagesse politique, c’est peut-être une démarche nécessaire.

Allons au fond des choses. De toutes les propositions contenues dans le projet de révision, la réforme essentiellement démocratique, c’est bien l’extension du droit de suffrage. Si plus tard, comme en Amérique, l’électeur prend les supériorités en haine, s’il se figure à tout propos qu’on veut lui faire la leçon, s’il a des trésors de tendresse pour les ignorans et pour les incapables, s’il se laisse dominer ou séduire par des politiciens sans scrupules, ce ne sera pas la faute du referendum. Or peut-on empêcher une large extension du droit électoral ? Pas plus qu’on ne le pouvait en Angleterre ; d’ailleurs même, on le sait, à l’heure présente, en Belgique, aucun des partis ne se le figure. Cela posé, la couronne peut rendre à la nation le plus signalé des services en interrogeant directement le corps électoral. Oui, si, par aventure, le suffrage quintuplé ne répondait pas immédiatement à l’attente des hommes d’État ; si, dans une période de tâtonnemens et d’inexpérience, quelques défaillances venaient à se produire et si, la composition des chambres variant outre mesure, la direction des affaires publiques était exposée à des fluctuations périlleuses, la royauté belge serait appelée par là même à jouer un rôle utile. Or elle ne pourrait pas exercer cette action si la constitution ne lui réservait pas le moyen d’aller au-devant de la démocratie.

Il est vrai que la démocratie pure n’est pas propre à résoudre un certain nombre de questions, et les adversaires de toute consultation populaire ont bien fait de prémunir, à ce point de vue, le gouvernement belge contre l’abus du referendum. L’exemple de la Suisse leur semble instructif, et nous partageons cet avis. Il convient évidemment de limiter l’emploi du recours direct et, par exemple, de lui soustraire, comme dans la confédération, les conventions internationales, le budget annuel, certains crédits, etc. Mais le gouvernement belge ne l’a-t-il pas déjà compris, et son programme actuel n’est-il pas très supérieur au système qui prévaut dans la république helvétique ? L’imprévoyance de la constitution fédérale n’est corrigée que par la pratique constitutionnelle : on s’est habitué, nous l’avons dit, à classer certaines matières au nombre des « arrêtés fédéraux » n’ayant pas une portée générale et ne présentant pas un caractère d’urgence. Mais une habitude contractée peut être aisément perdue. La plupart des jurisconsultes