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par l’électeur, le renouvellement hâtif des chambres amène trop de décousu dans les travaux législatifs : s’il provoque en outre l’ajournement de propositions importantes et de brusques revire-mens dans la direction de la politique intérieure ou extérieure, le prestige du parlement peut en être atteint. La consultation populaire est un expédient des plus utiles quand elle permet d’éviter une dissolution. Ajoutons que cette dernière mesure ne pare pas à toutes les difficultés et ne répond pas à toutes les exigences d’une situation tant soit peu complexe. On le vit bien en Suisse, lorsque le corps électoral, après avoir repoussé, pendant quatre ans, non-seulement le fameux arrêté sur l’enquête scolaire, mais toute une série de lois radicales, renvoya pourtant une forte majorité radicale au conseil national. C’est qu’il peut très bien partager, sur une ou plusieurs questions, l’avis de la minorité parlementaire sans vouloir se débarrasser de la majorité. Approuvez-vous une mesure que vos élus ont prise ? Voulez-vous mettre vos élus à la porte ? Ce sont là deux questions distinctes, et le meilleur moyen de connaître l’avis des commettans sur la première n’est pas, selon toute vraisemblance, de leur poser la seconde.

Cependant tout n’est pas dit quand on a bien voulu reconnaître au roi le droit de dissoudre les chambres, et nous nous demandons si l’emploi du referendum postérieur au vote des lois n’est pas, pour la couronne, l’unique moyen d’exercer la seconde et non la moins importante de ses prérogatives, aujourd’hui paralysée par la pratique constitutionnelle : nous voulons parler du droit de veto. Personne ne conteste que ce droit soit inscrit dans la constitution. « La souveraineté, disait en 1831 M.-J.-B. Nothomb, se compose de la volonté et de l’exécution. La volonté est placée dans la représentation nationale, l’exécution dans le ministère. Le pouvoir permanent influe sur la volonté par le veto et par la dissolution de la chambre élective. » D’accord, mais comment influer sur la volonté par le veto si l’on n’en peut pas user ? Il faut bien en convenir, un des deux bras du « pouvoir modérateur » façonné par les constituans de 1831, c’est le veto ; mais, si ce bras est inerte, le pouvoir modérateur est estropié. Cependant le veto n’est actuellement entre les mains du roi, comme l’a nettement expliqué la déclaration du 2 février 1892, qu’une attribution vaine. Il sommeille en Angleterre depuis la reine Anne, et l’on sait que l’exercice de cette prérogative ébranla le trône de l’infortuné Louis XVI, même avant que les Tuileries fussent envahies par l’émeute au cri de : A bas le veto ! Donc la constitution a plié sous le joug des faits, et le roi des Belges, lié par les précédons, serait obligé de sanctionner, à l’heure actuelle, une loi votée par les chambres,