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exclusivement de ne pas s’opposer à la promulgation des lois, le mécanisme du régime plébiscitaire l’eût empêché d’exprimer son opinion (si ce n’est par un rejet en bloc) ou même de faire ses réserves. D’ailleurs, est-ce que ses différens groupes, dispersés sur un territoire étendu, peuvent se concerter ? S’ils veulent s’expliquer sur une question qui n’est pas encore élucidée et si les votes se diversifient, comment, la majorité s’établira-t-elle ? Si l’on entrevoit confusément un conflit d’intérêts, comment et sur quelles bases la transaction pourra-t-elle s’opérer ? N’est-il pas à craindre que la liberté de ces législateurs improvisés ne succombe sous la difficulté du vote direct ? Où la représentation nationale elle-même se heurterait, dans bien des cas, à cent obstacles, comment s’y prendront les commettans pour la remplacer ?

Or le projet du gouvernement belge contient deux innovations très distinctes. Il introduit à la fois dans l’acte constitutionnel la consultation populaire préalable et la consultation postérieure au vote des lois. En usant de la première, lit-on dans la déclaration de mars 1891, « le roi se mettrait directement en rapport avec le corps électoral pour prendre son avis sur une question de principe, non actuellement soumise à la législature. « Il est avéré que le gouvernement n’entend par là ni faire légiférer le corps électoral puisqu’il lui soumettrait seulement une question de principe, ni même provoquer un plébiscite proprement dit, puisqu’il se bornerait à prendre un avis. Toutefois la consultation préalable confine de trop près, par certains côtés, aux procédés de la monarchie plébiscitaire, et nous comprenons qu’elle soit repoussée par un certain nombre d’hommes politiques.

Ce premier referendum est entaché d’un double vice. D’abord il devient trop facile au roi d’ôter la parole aux chambres. On annonce, je le suppose, le dépôt d’une proposition très grave, propre à susciter de violens ou de longs débats, et le gouvernement peut craindre que son avis ne soit pas celui du parlement. Fermer tout d’abord la bouche à la représentation nationale, c’est, si nous ne nous trompons, employer un procédé du régime plébiscitaire. Le peuple, dit-on, n’aura pas le dernier mot, comme il l’avait en France quand on le convoqua pour accepter ou rejeter soit la constitution de l’an VIII, soit celle de 1852. On n’en aura pas moins interverti les rôles ; alors même qu’on voudrait passer la parole au corps électoral, c’est à la représentation nationale d’éclairer le peuple, non pas à lui d’éclairer la représentation nationale, et c’est ici qu’apparaît le défaut capital de la première proposition. Qu’est-ce donc que le régime représentatif et quelle est sa raison d’être ? Les électeurs ont fait, comme disent nos