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24 juin 1793, puisque le corps législatif (art. 53 et suivans), s’il rendait encore des « décrets, » ne pouvait plus que proposer des « lois » et que le pouvoir législatif proprement dit résidait, en définitive, dans les assemblées primaires.

Le premier consul comprit autrement le plébiscite et le pratiqua, mais à de rares intervalles, pour en faire l’instrument de sa propre grandeur. Dès l’an VIII, la représentation nationale est réduite au silence, et deux acteurs restent seuls en scène : lui, qui soumet la constitution nouvelle au peuple, et le peuple qui consigne son vote sur des registres ouverts dans chaque commune. Deux ans plus tard, quand déjà « Rome remplaçait Sparte », le même dialogue recommence entre le général victorieux et le peuple fasciné : Napoléon Bonaparte sera-t-il consul à vie ? Ce dictateur de génie ne trouve pas d’expressions assez fortes pour persuader au peuple que « sa souveraineté ne doit connaître, comme dit l’arrêté du 20 floréal an X, d’autres limites que ses intérêts, » et la formule du plébiscite est définitivement arrêtée en l’an XII : « le peuple veut. » Napoléon III la reprendra pour son compte en 1851 et en 1852. A partir de 1852, le mot lui-même figure dans la langue législative et quand le dernier empereur, au déclin de son règne, tente de raffermir par un appel à la nation sa dynastie chancelante, le « plébiscite » prend place dans le texte officiel de la constitution révisée. Le lecteur, éclairé par ces souvenirs, définira sans peine la monarchie plébiscitaire.

Ce qui caractérise à nos yeux ce régime, c’est d’une part l’attribution complète de la puissance législative au corps électoral, d’autre part la faculté, conférée au roi, de ne pas soumettre certaines résolutions à la représentation nationale pour en saisir directement le peuple. La maxime des jurisconsultes romains : Plebs jubet atque constituit (le peuple ordonne et légifère), est inscrite au sommet de l’édifice : maxime dangereuse et le plus souvent impraticable. Il est périlleux d’ériger le corps électoral en législateur direct parce que certaines clartés lui manquent, que beaucoup de ses membres ne sont pas à même d’entreprendre le labeur nécessaire à la préparation des lois, qu’il devra nécessairement faire dans la plupart des cas une réponse simple, c’est-à-dire incomplète, à des questions complexes. Quand la majorité de ce corps électoral eût désapprouvé, par exemple, en l’an vin qu’on mît un bâillon au corps législatif, en 1815 après le retour de l’île d’Elbe, qu’il fût interdit de proposer le rétablissement des Bourbons même au cas d’extinction de la dynastie napoléonienne, en 1852 qu’on donnât à la chambre haute un rôle inerte en la chargeant presque