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le seul frein efficace aux influences illégitimes exercées sur la législature et capables de porter un sérieux dommage à l’intérêt public[1]. » Tout le monde sait, en effet, même en deçà de l’Atlantique, qu’un grand nombre de législatures d’États ont été complètement subjuguées et conduites par les grandes associations financières. On chercha de même en Suisse, à l’origine, dans la sanction populaire, comme l’a clairement expliqué M. Cherbuliez, une barrière aux empiétemens de cette chambre unique et toute-puissante, le grand conseil cantonal, investie par délégation de la souveraineté que la constitution attribuait au peuple.

En compulsant avec un soin minutieux, vote par vote, les annales du referendum suisse, nous inclinons à penser, non pas qu’il a donné sans interruption les meilleurs résultats possibles, mais que la démocratie en a fait généralement un judicieux emploi. S’il est vrai, comme nous le croyons, qu’il ne faut pas sacrifier l’autonomie cantonale aux champions d’une centralisation exagérée, comment ne pas approuver le peuple d’avoir, en repoussant deux fois « la loi sur le droit de vote des citoyens suisses, » laissé les cantons régler encore à leur gré les conditions de l’électorat ? S’il est vrai que les minorités doivent être protégées en Suisse comme ailleurs contre le despotisme des majorités, la nation n’a-t-elle pas bien fait de désavouer, durant la législature de 1881 à 1884, la politique oppressive de l’assemblée fédérale en rejetant toutes les lois soumises au referendum et particulièrement celle du 19 décembre 1883[2] ? La liberté d’enseignement est précieuse entre toutes les autres, puisqu’elle permet au père de famille de faire élever ses enfans selon sa conscience et sa croyance ; or, depuis que la constitution de 1874 (art. 27) avait décrété l’instruction obligatoire et laïque, aucune disposition législative ne réglait l’exercice du droit de contrôle de la confédération sur l’enseignement primaire : un arrêté fédéral, voté par la majorité radicale des conseils, prescrivit une enquête scolaire dans tous les cantons, tendant à prouver que la constitution avait été transgressée et à préparer l’élaboration d’une loi défavorable à la liberté religieuse : il est difficile d’oublier que la démocratie se souleva d’un bout à l’autre de la Suisse et

  1. La République américaine, par A. Carlier, liv. X, chap. XIII.
  2. Elle décrétait l’adjonction au Code pénal fédéral de l’article suivant : « Lorsque, dans une affaire criminelle de leur ressort, la confiance en l’indépendance ou l’impartialité de tribunaux cantonaux est ébranlée par suite d’agitations politiques, le conseil fédéral peut renvoyer au tribunal fédéral l’instruction et le jugement de la cause. » Mesure d’exception en faveur des radicaux tessinois qui avaient provoqué des troubles à Stabio, dit M. S. Deploige, la loi avait pour but de soustraire ces émeutiers à la juridiction des tribunaux du Tessin.