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contester une proposition si claire, il n’est pas moins vrai que, par d’autres côtés, il lui ressemble. Un des facteurs, est changé, puisque le chef de l’État devient, dans le projet du gouvernement belge, l’auteur de la consultation ; mais l’autre facteur ne l’est pas, puisque la réponse est donnée, dans un cas comme dans l’autre, par le corps électoral. Cela posé, la politique étant bien moins une collection de théorèmes que l’application pratique de certains principes, il est peut-être bon, pour discerner si l’on innove à propos, de juger l’arbre par ses fruits, c’est-à-dire d’apprécier d’une façon générale, la forme du gouvernement n’étant pas en jeu, les résultats qu’a donnés l’intervention directe du corps électoral, soit aux États-Unis, soit en Suisse. Le referendum ne peut pas être et n’est pas, on l’a dit très exactement, une panacée : ce serait une véritable puérilité que d’y chercher un remède à tous les maux dont souffre une nation, un abri contre tous les orages qui la menacent. Il s’agit de savoir, non si le peuple donne, à coup sûr, la meilleure réponse aux questions posées, mais si, soit dans l’une, soit dans l’autre république, les inconvéniens du recours direct l’ont, en somme, emporté sur ses avantages.

On sait déjà que le corps électoral est appelé, dans la grande république américaine, à sanctionner tous les amendemens aux constitutions des États particuliers. Or, si la cour suprême du Missouri s’est, un beau jour, avisée de dire qu’une convention régulièrement convoquée avait le droit de donner forcé à un nouvel acte constitutionnel sans le soumettre à l’agrément du peuple, tous les hommes d’État, tous les publicistes ont protesté. Nulle autre cour suprême, nulle assemblée n’a cru pouvoir embrasser cet avis, et les jurisconsultes, pour excuser une telle hérésie, ont démontré que le haut tribunal du Missouri n’avait pas tranché la question par un jugement, mais exprimé simplement une opinion particulière. On ne regrette pas, en effet, de laisser aux mains du peuple lui-même une partie du pouvoir constituant et l’on a probablement raison de ne pas le regretter. C’est la démocratie elle-même qui, amendant en 1861 la constitution du Missouri, en 1868 celle de la Floride, subordonna le droit de suffrage à la justification d’une instruction quelconque. L’antique constitution du Massachusetts exigeait que l’électeur sût écrire son nom : quand les deux chambres de la législature locale voulurent effacer, en 1870, cette condition restrictive, elles furent désavouées par leurs commettans. Si le recours direct au corps électoral est, en outre, admis dans plusieurs cas par un assez grand nombre d’États particuliers, alors qu’il ne s’agit pas d’amender la constitution elle-même, c’est qu’on le regarde universellement « comme