Il faut, en tout cas et par-dessus tout, sauver le régime représentatif ; car c’est lui que vise particulièrement le projet de réforme constitutionnelle et qui périrait tout d’abord. Or la maxime élémentaire de ce régime, ainsi que l’a dit un représentant dans une séance de la section centrale (17 avril 1891), c’est que les élus sont investis de pleins pouvoirs. Ils doivent statuer, sous leur responsabilité, sur tout ce qui intéresse l’État ; ils n’ont pas à en référer ; ils ne sont soumis au jugement de leurs électeurs qu’en cas de dissolution ou à l’expiration naturelle de leurs pouvoirs. C’est pourquoi, même dans la grande république américaine, démocratie représentative, on reconnaît, en thèse, que la législature d’un État ne peut pas soumettre ses actes à l’approbation du peuple sans dénaturer les principes essentiels du gouvernement. Le peuple ne peut pas légiférer. Par une conséquence logique, il lui est interdit de faire indirectement ce qu’il ne saurait faire directement : puisqu’il ne peut pas voter la loi, il ne peut pas non plus l’approuver ou la désapprouver. S’il en était autrement, tout le mécanisme du régime serait faussé. Le recours au peuple est-il postérieur à la loi ? Le délégué peut être désavoué, la représentation nationale est amoindrie. Mais le referendum préalable est encore plus contraire à l’essence du gouvernement représentatif. Si le chef de l’État soustrait à l’une des deux chambres, avant tout débat, une proposition dont elle se trouve ou va se trouver saisie, l’élu cède la place à l’électeur, la démocratie pure entre en scène et supprime provisoirement la démocratie représentative. Le pouvoir législatif direct est transféré momentanément au corps électoral. Quand le mandant a prononcé, le mandataire n’a plus qu’à se croiser les bras.
Ainsi s’expriment les adversaires du referendum. Pour nous, étrangers aux querelles des partis qui se disputent le pouvoir en Belgique, et poursuivant l’étude scientifique de cette grave question constitutionnelle, nous la traiterons avec une complète sérénité d’esprit. Jugeant, d’ailleurs, que le régime représentatif est, par excellence, celui de la discussion libre et que tout le monde y doit être écouté, nous avons tenté de résumer fidèlement l’argumentation qu’on dirige contre le projet du gouvernement, sans la scinder par crainte de l’affaiblir. Quelques-unes de ces objections n’ont pas une bien grande portée ; d’autres sont fort sérieuses et nous les prendrons en considération, le lecteur va s’en apercevoir, en exposant notre propre système.
Il faudrait une grande dose de mauvaise foi pour méconnaître que le gouvernement du roi Léopold propose aux chambres belges