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d’entre eux, vaincu par sa propre expérience, avait fini par dire, et cet aveu, banal sur d’autres lèvres, est significatif dans sa bouche : « De même que la chambre des pairs est donnée à quelques-uns, de même et par la même nécessité des choses, la chambre des députés est donnée à tous ; la représentation des intérêts communs à tous appartient à tous, là où il n’y a pas de distinctions hiérarchiques. Dans la rigueur du droit, tous sont éligibles, tous sont électeurs, à moins qu’ils ne soient jugés actuellement incapables de l’être. » Or cette nécessité des choses que confessait Royer-Collard, en planant sur les sommets de la théorie pure, d’autres, c’est-à-dire beaucoup de ceux qui ne votaient pas, l’ont aperçue et, l’apercevant, s’en sont prévalus. Ne se jugeant pas, à tort ou à raison, « actuellement incapables, » ils se sont placés « dans la rigueur du droit, » mais ne l’ont pas fait seulement pour l’honneur des principes. Ils ont réclamé l’application pratique et tangible de ces principes avec une énergie de jour en jour croissante ; en un mot, ils ont voulu voter. Comme les lois ne se font pas à coups de syllogisme, la politique des gouvernemens sensés consista bientôt à démêler ce qu’il y avait de juste et ce qu’il pouvait y avoir d’excessif ou de prématuré dans de semblables revendications.

C’est ainsi que la législation électorale anglaise, dont la réforme avait été demandée douze fois sans résultat depuis 1745, fut profondément remaniée en 1832. À cette dernière époque, lord Althorp, lord Grey, lord John Russell lui-même, avaient hautement affirmé que la question électorale était définitivement réglée, et pourtant, au bout de moins de dix ans, on battait en brèche le reform bill de 1832, au bout de vingt ans le parlement était saisi de nouvelles propositions, et, le 11 février 1867, M. Disraeli annonçait au nom du gouvernement la présentation d’une loi nouvelle. Le reform bill de 1832, disait-il alors, a confié le pouvoir aux classes moyennes en excluant les classes ouvrières ; il faut aujourd’hui restituer à celles-ci les droits que leur reconnaissait l’ancienne législation du pays. « Assurément nous avons fait un saut dans l’inconnu, ajoutait lord Derby quelques mois plus tard en soumettant le projet à la chambre des lords ; mais j’espère fermement que l’extension de franchise que nous accordons à nos compatriotes sera le moyen de placer les institutions du pays sur une base plus ferme. » Le nombre des électeurs passa, pour le royaume-uni, de 1,366,818 à 2,448,252. Quinze ans s’écoulèrent et le régime électoral de 1867-1868 devint lui-même suranné ; après quelques difficultés suscitées par la résistance de la chambre des lords, les libéraux et les conservateurs s’entendirent