prétendre que Virgile a travaillé à cimenter l’unité de l’empire. L’Enéide a donc servi les desseins d’Auguste ; elle a répandu dans le monde l’admiration pour Rome, le respect de son passé, la confiance dans son avenir, c’est-à-dire les sentimens que le prince voulait exciter dans les cœurs quand il célébrait les jeux séculaires. Je crois donc que, comme l’ode d’Horace, et peut-être plus qu’elle, elle est inséparable du souvenir de ces grandes fêtes.
La célébration des jeux séculaires dut attirer à Rome un nombre considérable d’étrangers. On commençait à prendre l’habitude d’y venir de partout et à toute occasion. Quelques années plus tard, à propos d’une solennité bien moins importante, Ovide nous dit qu’il y eut un grand concours de visiteurs, et « que l’univers tint dans une seule ville, — orbis in urbe fuit. » A plus forte raison l’affluence devait-elle être nombreuse quand il s’agissait d’une fête annoncée d’avance à grand fracas et à laquelle l’empereur prenait la peine de convier le monde entier. M. Mommsen lait remarquer que, bien qu’elle fût surtout destinée à glorifier Rome, Auguste avait tenu à lui donner, par certains côtés, un caractère international et cosmopolite. Il est dit expressément, dans les pièces officielles, que les sacrifices s’accompliront d’après le rite grec, achivo ritu. On a vu que c’est sous leur nom grec que les Parques et Lucine sont invoquées ; on les appelle les Mœres et Ilithyia. Enfin, il n’est dit nulle part que, pour participer aux cérémonies, il soit nécessaire d’être citoyen de Rome ; il suffit qu’on soit de naissance libre. On voit déjà poindre ici ce qui sera la grande pensée de l’empire et son œuvre maîtresse, l’extension au monde entier du droit de cité, le mélange des races sous la domination romaine, la création d’un peuple unique, formé de tous les peuples, parlant la même langue et jouissant des mêmes droits.
Il est donc naturel de croire que les gens de tous les pays convoqués par le puissant empereur pour assister à ses fêtes y soient venus en foule. Le moment était heureux pour visiter Rome. La vieille ville se rajeunissait, et Auguste, « qui l’avait trouvée de brique, était en train de la faire de marbre. » La plupart des grands ouvrages qu’il avait entrepris étaient achevés ou touchaient à leur ferme. La basilique Julia, dont les débris font notre admiration, dressait ses colonnes neuves sur un des côtés de l’ancien forum. Un peu plus loin, on bâtissait tout un forum nouveau, avec des portiques et des statues autour du temple de Mars vengeur. Au Palatin, la demeure du prince et le temple d’Apollon étaient finis