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sanglantes, on vient de saisir à Madrid deux individus, l’un Français, l’autre Portugais, affiliés aux clubs anarchistes espagnols ; on les a surpris munis de leurs bombes au moment où ils se disposaient à faire sauter la chambre des députés. On a découvert dans leurs papiers tout un plan de leurs prochains travaux : ils se proposaient de faire sauter, après la Chambre, le Sénat, le Palais de justice, le Conseil d’État, le ministère de la guerre, enfin le Palais-Royal. Ils avaient choisi pour le Palais-Royal le dimanche des Rameaux ! Naturellement, on a profité des découvertes faites à Madrid pour organiser une vaste chasse aux anarchistes dans toute l’Espagne, à Barcelone, à Valence, à Grenade. Le coup a manqué pour cette fois. Les plus hardis exécuteurs de ces œuvres de destruction ont été au moins arrêtés en Espagne, en Angleterre, comme en France. Les gouvernemens se défendent de leur mieux, par des redoublemens de vigilance, par les lois dont ils disposent, par les lois nouvelles dont ils entendent s’armer, par l’expulsion des étrangers suspects ; ils sont d’autant plus portés à se tenir en garde qu’ils ont devant eux cette date du 1er mai signalée comme un rendez-vous d’agitation universelle. Peut-être maintenant ces explosions récentes, heureusement prématurées, auront-elles servi à atténuer d’avance la gravité de cette journée du 1er mai promise à toutes les manifestations. Le fait général ne subsiste pas moins, et ici s’élève une question nouvelle. Ce qu’il y a de frappant dans ces mouvemens anarchistes, c’est le caractère de plus en plus marqué de cosmopolitisme et d’internationalité. C’est la ligue avérée de tous les instincts de révolution brutale et de destruction alliés en Europe, sans distinction de drapeau et de race. À cette attaque organisée, combinée, de l’internationalisme révolutionnaire procédant par le fer et par le feu, les gouvernemens ne seront-ils pas tentés d’opposer à leur tour une résistance diplomatiquement délibérée ? Ne seront-ils pas conduits à compléter leur défense intérieure par des mesures de défense commune ? Ils ont essayé quelquefois de se concerter ; ils se sont arrêtés jusqu’ici, ils ont hésité, et à la vérité l’œuvre n’est pas facile. Ce qu’il y a de curieux cependant, c’est que sous le coup des derniers exploits de la dynamite, cette idée s’est réveillée, — et qui sait si les généreux scrupules qui ont pu retenir jusqu’ici des nations libérales ne finiraient pas par céder devant la nécessité de sauvegarder la sécurité universelle ?


CH. DE MAZADE.