Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/960

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la dernière extrémité ; on se perd dans de petits subterfuges de tactique parlementaire ou dans de mesquines agitations de secte qu’on n’ose braver, on s’épuise et on épuise un régime sans profit pour la sécurité et pour la grandeur de la France.

Le monde européen lui-même n’est pas tout à fait au repos, au moins à une parfaite quiétude. Il n’a point, il est vrai, le souci de ces points noirs qui reparaissent de temps à autre, des grands conflits qu’on est toujours tenté de redouter. Il n’y a point de grands conflits en perspective ; il n’y a même pas d’affaires bien sérieuses entre les principales puissances dont les rapports n’ont pas changé depuis quelque temps. Il n’y a ni incidens ni apparence d’incidens. Diplomatiquement, rien n’est changé sur le continent. Ce qui tient pour le moment l’Europe en alerte, ce qui peut troubler sa quiétude, ce n’est pas la crainte de la guerre ou le sentiment des antagonismes qui la divisent ; c’est plutôt un fait qui pourrait rapprocher tous les cabinets : c’est cette menace universelle d’anarchie qui se manifeste, c’est ce retour offensif de la barbarie en pleine civilisation. Ce n’est pas d’hier sans doute que la dynamite a fait son entrée avec effraction dans le monde contemporain ; mais c’est la première fois, à ce qu’il semble, qu’elle est employée avec cet ensemble, avec cette profusion comme un instrument de destruction méthodique, et ce qui s’est passé récemment à Paris n’est pas un fait particulier à la France. C’est de tous côtés qu’on voit fleurir cette étrange industrie de l’anarchisme et des engins explosifs.

Aujourd’hui, en effet, c’est évident, la plupart des pays sont infestés de l’horrible contagion. Presque partout l’anarchie a ses séides, qui sont prêts à tout, qui ont leurs mots d’ordre, leurs plans d’opérations. Oui, en vérité, ils ont leurs manuels, leur instructions, leurs fabrications, leur programme, qui consiste tout bonnement à « incendier les églises, les casernes, les préfectures, les mairies, les cabinets des juges et des avocats. » En un mot, il ne s’agit plus d’une lutte d’idées, d’opinions ou même de revendications sociales ; la société européenne tout entière est réduite à se défendre par ses lois, par ses polices, contre une bande cosmopolite de la destruction et du meurtre. Aussi bien que la France, la Belgique, l’Italie ont eu leurs explosions, elles ont leurs conspirateurs de la dynamite. En Angleterre même, dans la libérale Angleterre, on vient de voir se dérouler devant les assises de Stafford, un procès où ont comparu cinq anarchistes, anglais ou étrangers, arrêtés les uns à Londres, les autres à Walsall, tous accusés et convaincus de fabriquer des bombes, toute sorte d’engins meurtriers, d’avoir préparé sous le nom de « fête de l’anarchie, » une vaste explosion. En Espagne, où les récentes tentatives révolutionnaires de Jerez ont laissé, avec des souvenirs qui pèsent sur l’opinion, des traces