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tendent pas ainsi. Ils redoutent la paix morale et la conciliation ; ils ont peur des adhésions comme d’une menace pour leur règne. Voici trois mois qu’ils sont à chercher comment ils pourront réveiller les passions, les querelles implacables. Les radicaux tiennent la tête de la campagne, les prétendus modérés de la masse républicaine suivent, les ministères, trop faciles complaisans des partis, n’osent résister, — et on rentre par degrés dans une sorte d’agitation indéfinissable, entremêlée de quelques explosions anarchistes. On passe son temps à rallumer les guerres religieuses par des interpellations dont le gouvernement est à demi complice, à chercher une fausse popularité en faisant des lois sociales contre les patrons, ou à discuter dans la confusion, sans pouvoir s’entendre, les affaires sérieuses du pays, la politique coloniale. Nous sommes moins avancés qu’il y a six mois. La république n’est pas décidément au bout des épreuves que les républicains lui réservent !

Un des signes les plus caractéristiques de l’état moral du moment, c’est certainement cette recrudescence de passions anticléricales, qui a un écho jusque dans le parlement, qui se manifeste par une sorte d’accord entre les scènes de désordre extérieur et les interpellations multipliées, toujours renaissantes, du Palais-Bourbon. La vérité est que depuis quelque temps on est entré dans une phase de plus en plus aiguë, où tout est prétexte à des manifestations tumultueuses, à des espèces de batailles dans les églises. Ce ne sont plus des accidens fortuits, provoqués à l’improviste par quelque imprudence de langage, par quelque sermon qui aurait effleuré la politique ; c’est une agitation visiblement concertée, organisée contre la prédication religieuse et peut-être aussi malheureusement encouragée par des chefs de partis qui ne vont pas se mêler au tumulte, mais qui se hâtent d’en profiter, ne fût-ce que pour compromettre le gouvernement dans une campagne nouvelle contre ce qu’ils appellent le cléricalisme. C’est trop méthodiquement conduit pour que tout n’ait pas été calculé et bien préparé. Après l’église de Saint-Merri, c’est l’église de Saint-Joseph qui a été envahie par une bande de perturbateurs, procédant, selon l’usage, par des vociférations contre le prédicateur et par la bataille des chaises. Puis, l’église de Saint-Ambroise a eu son tour et, de proche en proche, la plupart des églises de Paris étaient probablement destinées à recevoir la visite de ces étranges manifestans. Et, après Paris, c’est la province qui a eu ses scènes de désordre : à Marseille, à Beau vais, on a voulu manifester à la mode parisienne ; on a envahi les églises, interrompu la prédication, brisé les chaises sur le dos du voisin et chanté la Carmagnole. À Nancy, l’évêque lui-même, Mgr  Turinaz, qui passe cependant pour un prélat conciliant, n’a pu se faire entendre ; il a tenu tête à l’agitation, sans pouvoir néanmoins la dominer. Partout ces scènes ont eu le même caractère ; partout elles ont été la violation du sanctuaire réserva au culte. Et qu’on ne dise pas que ce sont