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fécond des plus belles formes sonores qui jamais aient enchanté les oreilles. Si dans le second tableau de Parsifal nous admirons même la musique, dans les Noces de Figaro c’est la musique surtout qu’il faut admirer. Toute la différence, toute l’opposition est là. La musique de Mozart est belle en elle-même et par elle seule, d’une beauté spécifique et absolue, belle comme le profil d’une statue, le fronton d’un temple, la courbe d’une colonne ou la ligne d’un coteau. La musique de Wagner est un moyen ; celle de Mozart, une fin, sa propre fin, et vous savez que selon Kant,.. je m’arrête : j’allais retomber dans la philosophie.

C’est pour Mlle  Isaac qu’on a repris les Noces de Figaro. Elle est digne de cet honneur et de ce rôle de Suzanne, qu’elle chante aujourd’hui avec plus de science et de conscience que jamais. La voix n’a rien perdu ; le style a peut-être gagné encore en délicatesse et surtout en ampleur. Mlle  Isaac n’exprimait pas naguère avec cette largeur et cette puissance tout ce que l’air des marronniers contient de vague émotion et de sérénité profonde. Je veux seulement reprocher à la cantatrice quelques « vains ornemens » dans le duo avec le comte. J’en reprocherais bien d’autres à Mmes  Landouzy et Simonnet. Toutes deux gâtent par d’affreuses petites fioritures le ravissant duo que Mozart, soit dit en passant, a écrit pour Suzanne et la comtesse et que chantent, je n’ai jamais su pourquoi, la comtesse et Chérubin.


Camille Bellaigue.