Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/910

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prétention devenait la prétention et le grief de toutes les autres. L’entente, à vrai dire, était alors facile. Quatre nations seulement, la France, l’Angleterre, la Russie et les États-Unis, avaient des intérêts en Chine, et ces intérêts étaient d’ordre différent. Après 1860, et surtout après 1870, les choses changèrent. L’Allemagne, puis l’Italie, d’autres nations encore entrèrent en scène. Toutes se préoccupèrent des intérêts matériels. Toutes furent représentées, non plus par leurs consuls dans les ports, mais par leur ministre à Pékin. Les haines de nationalité, surtout les rivalités de personnes et plus encore la concurrence industrielle et commerciale, rompirent l’union : dès lors, on laissa voir aux Chinois, qui s’en doutaient, que pour les Européens d’extrême Orient l’Europe n’était plus une patrie.

On croyait proche le moment où la Chine sortirait de son antique immobilité, et, entrant de nouveau en concurrence avec les nations d’Occident, s’armerait pour un duel colossal. Que ce duel pût être un jour fatal à l’Europe, nul n’y prit garde. La seule perspective de tous les chemins de fer, télégraphes, usines, arsenaux, qu’allait demander ce gigantesque consommateur tourna toutes les têtes. Au lieu de partager, en bons larrons, cette aubaine inespérée, chacun voulut la garder pour lui seul et se fit tout humble. L’Allemagne, pleine d’ambition pour ses industriels, ne voulait pas d’affaires qui pussent indisposer le gouvernement chinois contre M. Krupp. L’Angleterre, pleine de sollicitude pour ses compatriotes établis en Chine : banquiers, commerçans, assureurs, etc., faisait taire ses plus légitimes exigences. Tandis que la Chine englobait toujours, dans une commune hostilité, les diverses nationalités, et que tous, Anglais, Russes, Français, Italiens, Allemands, elle les haïssait également sous le nom générique d’Européens, les Européens, eux, se divisaient et s’émiettaient. En politique, c’étaient de petites trahisons ; en affaires, c’étaient des enchères au rabais, parfois des contrats à perte. Les Chinois laissaient dire et faire, et acceptaient ce qui leur était avantageux, mais sans se lier avec personne, sans se lancer dans de grandes entreprises, sans ouvrir leur territoire ni aux hommes ni aux capitaux d’Europe. À ce jeu, toutes les nations perdirent rapidement leur influence et leur considération. Même la Russie, jadis si redoutée, et qui encore en 1881 arrachait à la Chine d’importantes concessions, a vu diminuer son crédit, et de bons observateurs se demandent aujourd’hui laquelle des deux fait peur à sa rivale. En cet état, chaque nation se console de son échec par l’échec des autres.

Toutefois, mieux avisées, certaines puissances se sont décidées à recourir à d’autres procédés, qui, à ce qu’elles croyaient, hâteraient la solution désirée. Elles cherchèrent, parmi les contrées