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parages très fréquentés. L’Iraouaddy, qui est de beaucoup le fleuve le plus considérable et absorbe presque tout le trafic intérieur de la Birmanie, a une navigation incertaine et difficile. Durant plusieurs mois, les eaux y baissent au point de n’offrir plus même aux steamers de rivière la profondeur suffisante, et les sables, sans cesse en mouvement, déjouent l’expérience des meilleurs pilotes. Le capitaine Yule, en 1853, et, tout récemment, lady Dufferin, ont conté leurs mésaventures sur des bateaux ensablés. Quand ce n’est pas le sable, ce sont les rochers qu’il y a à redouter : déjà bien des fois des bateaux s’y sont brisés : témoin le Thooreah, de la Flotilla Company, qui devait, un peu plus tard, perdre encore le Patheen dans la Chindwin. Dans ces conditions, chaque année le trafic est suspendu pendant plusieurs semaines et, au-dessus de Bhamo, pendant plusieurs mois. Le même capitaine Yule raconte que, pour franchir la distance assez courte de Bhamo à Tsa-Chœ-Sing, il lui fallut quatre-vingt-trois jours. Au surplus, passé Bhamo, le fleuve n’est navigable que sur 120 à 150 milles ; à Hokat, se dresse un rapide jusqu’ici infranchissable et des rives abruptes, surmontées par des montagnes de 6,000 pieds, interdisent presque le transbordement.

Contre de pareilles difficultés, l’homme ne peut directement que peu de chose. La canalisation d’un fleuve qui, à 800 milles de la mer, est large à peu près comme à son embouchure, paraît une chimère. La création d’un chenal serait extrêmement dispendieuse ; le maintien, avec ce lit changeant et ces sables toujours en mouvement, en serait sans doute impossible. Les autres fleuves n’ont pas un régime plus commode. Pour en tirer parti, on n’a d’autres ressources que d’y poser des balises sans cesse vérifiées, de dresser de bons pilotes et de construire des bateaux appropriés. A cet égard, la puissante Irawaddy Flotilla Company a fait tout ce qu’on pouvait faire. Sa flotte, l’une des plus considérables, sinon la plus considérable des flottes fluviales, dessert l’Iraouaddy tout entier, de Rangoon à Bhamo et au-dessus, et, autant que les saisons le permettent, les rivières Chindwin, Myintge, etc. D’autre part, soit pour assurer l’ordre et la sécurité, soit pour prêter assistance aux bateaux en péril, le gouvernement a organisé des convois escortés, des patrouilles de remorqueurs et de steam-launches, etc.

Malgré cela, la navigation de ces fleuves demeure intermittente et incertaine. Un gouvernement, dans la situation délicate où était alors le gouvernement de Birmanie, ne pouvait sans imprudence se contenter de communications aussi précaires ; il lui fallait un instrument plus régulier et plus rapide : il n’en était point, semble-t-il, en dehors des chemins de fer.