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localités, très différentes quant à la constitution géologique, très différente aussi est la manière de les exploiter[1]. Ici les rubis se rencontrent dans les fissures du rocher, mêlés à une terre argileuse noirâtre ou rougeâtre, et c’est cette argile qu’il s’agit d’abord d’extraire du rocher. Là, ils sont emprisonnés entre les différentes couches de rochers dont sont formés les flancs de la colline. De ces couches, les unes sont dures comme du granit, les autres tendres comme de la pierre ponce. Pour en extraire les pierres précieuses, on baigne d’eau la surface de la roche, le soir, et le matin on trouve une couche mince, désagrégée et brisée. En répétant l’opération, on arrive peu à peu à mettre la roche à découvert. Enfin, dans les lieux bas, on creuse des fosses qui ont jusqu’à 25 pieds de profondeur ; on en extrait la terre et on la recueille avec soin dans des vases de bambou.

Mogouk, centre du district minier, doit avoir été autrefois une localité considérable. On y rencontre encore une importante agglomération de Shans, de Manipours, de Chinois et même de Birmans. Les Birmans sont en minorité : autant que cela dépend d’eux, ils le sont partout où l’on travaille.


II

Cela tient à la conception que le Birman s’est faite de la vie. Il a proclamé, avant nos philosophes, le droit au bonheur et, avant nos socialistes, le droit au repos. La journée des trois huit, revendication de nos ouvriers les plus avancés, ne le satisferait guère. Il ne saurait que faire de huit heures de sommeil ni supporter huit heures de travail. Rien ne lui répugne autant que l’assiduité, si ce n’est la régularité. Des occupations qui n’occupent pas et qui changent toujours, voilà son idéal. Aussi, de l’heure du réveil à l’heure du coucher, que de variété dans sa paresse et comme tout son temps est rempli ! Il lui en faut pour bavarder, il lui en faut pour ne rien faire et pour jouir délicieusement de son oisiveté, il lui en faut encore pour se préparer à reprendre sa tâche. Recommencer chaque jour la même besogne, suivre chaque jour le même chemin lui paraît intolérable et, à vrai dire, un peu fou. Au début de l’occupation, on avait pris, comme facteurs de la poste, des Birmans. Ils gardaient leur service une semaine et disparaissaient sans prévenir. Leur bonheur est de rester accroupis, se balançant doucement sur l’extrême bout de leurs pieds et fumant des cigares interminables. L’activité d’autrui ne gêne d’ailleurs pas leur inaction. Ils aiment assez, tandis qu’ils flânent, à faire travailler leurs

  1. Voir le rapport du consul d’Italie à Rangoon, juin 1890.