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l’or et de l’argent, d’Europe dans l’extrême Orient, par le fait du commerce des soieries, des tapis, des épices et des autres produits, que nous payions alors en monnaie, non en nature, ait pu davantage en être cause ; ce commerce était en somme tout aussi actif, sinon davantage, au XIVe, siècle où l’argent perdait de sa puissance, qu’au XVe, où cette puissance ne cessait de grandir. Par la même raison on ne peut attacher d’importance à la diminution de la masse monnayée, sous l’action du frai, ni à son retrait du marché public par l’effet de la thésaurisation stérile de quelques chrétiens, observateurs trop scrupuleux des prohibitions ecclésiastiques sur le prêt à intérêt condamné comme usuraire. L’une et l’autre de ces causes agissaient au XIVe siècle comme au XVe et la seconde n’a jamais été bien efficace.

On n’en saurait dire autant de la perte de métaux précieux qui a dû résulter entre 1360 et 1450 de leur enfouissement, par le désir de sauver, durant cette période déplorable, une partie de sa fortune, en la mettant à l’abri des pillages. Il est vraisemblable que des individus possédant une certaine masse de monnaie l’aient cachée, et que, n’ayant révélé à personne le secret de leur cachette, ils aient souvent emporté ce secret dans la tombe. Lorsque cette cachette était en quelque endroit écarté, dans une cave ou dans les champs, l’or et l’argent ainsi entassés ont pu être perdus pour toujours. De semblables dépôts étaient-ils confiés à l’épaisseur d’une muraille, à quelque meuble compliqué, leur trouvaille, certaine tôt ou tard, n’en demeurait pas moins indéfiniment retardée.

Une autre sorte d’enfouissement, bien plus grave que le précédent, qui à coup sûr se produisit en France à la fin du XIVe siècle, de la façon la plus générale, et contribua par conséquent à augmenter le prix de l’argent en le raréfiant, c’est l’arrêt du crédit, la suspension partielle de la vie nationale, l’espèce de retour à la barbarie qui signale ce temps désastreux. Mais tout cela était circonscrit à nos frontières ; ni l’Allemagne, ni l’Angleterre, ni l’Italie, ne souffraient de semblables maux. Cependant, le pouvoir de l’argent y augmente de la même manière qu’en France, avec autant de rapidité ; et il est certain que les divers pays d’Europe qui, malgré l’activité de leurs relations contemporaines, ressentent à peine, en plein XIXe siècle, le contre-coup des crises financières sévissant chez leurs voisins, quand ces crises ont une origine purement locale, n’auraient pas au milieu du moyen âge, où leurs rapports les uns avec les autres étaient si bornés, éprouvé les effets de nos malheurs intimes.

Les mines d’or et d’argent qui alimentaient, durant les deux siècles précédens, le marché européen, et qui non-seulement