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Un autre cas de diminution du pouvoir de l’argent, de hausse des prix, c’est celui des époques de guerre, de bouleversemens, où toutes choses deviennent moins abondantes (la terre et les produits de la terre, parce qu’ils sont moins aisés à exploiter, le travail, parce que la population diminue), et où ces marchandises coûtent plus cher, parce que l’argent cesse encore moins de circuler que les marchandises ne cessent d’être produites. Il peut arriver aussi que les marchandises et l’argent restent, les unes vis-à-vis de l’autre, dans un rapport stationnaire, que les prix dans leur ensemble varient peu, et que tantôt cet état cache une crise, si les marchandises et le métal précieux diminuent tous deux à peu près également, tantôt qu’il corresponde à une ère de progrès s’ils augmentent tous deux dans une proportion à peu près semblable.

On ne peut donc rien conclure, relativement à la prospérité publique, ni de la diminution du pouvoir de l’argent, ni de l’immobilité de ce pouvoir ; .puisqu’il se trouve diminuer ou demeurer immobile, aussi bien dans des momens de crise que dans des momens de progrès. On ne peut conclure davantage de l’augmentation du pouvoir de l’argent, puisqu’elle peut provenir de la très grande abondance des marchandises, aussi bien que de la très grande rareté du métal et que, dans la première hypothèse, elle est un indice de prospérité, et dans la seconde un indice de malaise.

Si l’augmentation ou la diminution du pouvoir de l’argent ne prouve rien, à première vue, dans l’histoire économique, elle révélerait d’une façon infaillible l’état matériel d’un pays, lorsqu’on en découvrirait les motifs : ainsi l’augmentation du pouvoir de l’argent indique un état de gêne lorsqu’elle tient à une moindre abondance de métal ; parce que le métal ne diminue pas effectivement, mais il rentre dans les poches, dans les coffres ou dans les bas. Et cette disparition factice de l’or et de l’argent, qui en cause le renchérissement, n’est autre que le resserrement du crédit. Quant à la diminution du pouvoir de l’argent, elle est signe de crise si elle provient de la rareté des marchandises, et elle ne signifie rien si elle provient de l’abondance des métaux précieux.


IV

En voyant les prix insensés qu’atteignent les marchandises à la fin du XVIe siècle, on est assez étonné de ne pas trouver grandes plaintes à ce sujet dans les chroniques, journaux de famille, livres de raison, où la classe bourgeoise consigne volontiers, à huis-clos, ses impressions de toutes sortes. La misère, qui est grande pourtant sous la Ligue, n’atteint donc pas cette classe-là. C’est plutôt