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semaine par semaine, la quantité de tonnes de sucre produites et absorbées dans le monde entier, on s’apercevrait que la proportion de toutes ces richesses, les unes vis-à-vis des autres, est tort peu semblable aux deux dates ; et que par conséquent chacune d’elles représenterait une parcelle très différente d’une somme d’argent qui s’applique indifféremment à toutes. Par suite, le pouvoir de l’argent, dans sa hausse ou sa baisse sur chacune, les a affectées beaucoup plus ou beaucoup moins, selon qu’il en existe plus ou moins autrefois et aujourd’hui.

Ce gigantesque inventaire des valeurs ne peut être tenté sérieusement, dans l’état de la science, — pourra-t-il l’être jamais ? — pour aucun des siècles qui ont précédé le nôtre. Pour notre siècle, même avec les renseignemens dont on dispose sur l’agriculture, le commerce, l’industrie, il ne peut l’être mathématiquement. La plupart des valeurs rentrant les unes dans les autres, on se trouverait additionner plusieurs fois, sous des formes multiples, la marchandise la plus simple. Une paire de bas de laine figurerait, comme « bas, » parmi les objets d’habillement, comme laine brute à l’article « matières premières, » et à l’article « moutons sur pied. » Implicitement ces bas figureraient à l’article « salaires, » puisqu’ils ont exigé une certaine quantité de main-d’œuvre, depuis le berger qui faisait paître les moutons jusqu’au marchand en détail qui vend, sous forme de bas, la laine de ces moutons, lavée, filée, teinte et façonnée suivant sa destination définitive. Les bénéfices professionnels de tous les intermédiaires, fabricans ou négocians, sont aussi compris dans la valeur de cette paire de bas ; et aussi leurs frais généraux : commis, loyer, etc. Et dans leur loyer entre, pour une part, le prix des matériaux de construction de leur maison, et celui de la terre sur laquelle cette maison est assise. Le revenu de la terre entre, pour une autre part, dans le prix du bas de laine, puisque c’est la terre qui a nourri le mouton ; et ainsi de suite, à l’infini…

J’ai cru plus sage et plus pratique, pour calculer le pouvoir général de l’argent, de le rechercher par un procédé rationnel, dont je dois au lecteur l’exposé sommaire : il est possible, lorsqu’on possède un assez grand nombre de chiffres, de comparer le prix de la vie actuelle avec le prix de la vie d’une époque déterminée. Ce calcul repose sur des bases absolument positives pour la masse populaire, dont la consommation est bornée à un petit nombre d’objets de première nécessité. Il repose encore sur des données solides, lorsqu’on s’élève aux classes aisées ou riches, parce qu’on introduit dans leurs dépenses une part de plus en plus grande d’objets de simple agrément, ou de luxe. Dans tous ces cas on prend pour point de départ, à deux dates diverses,