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translation. Deux tourbillons ou deux ondes peuvent donc, par des combinaisons mécaniques, produire ce rebondissement d’élasticité dont on voudrait, encore aujourd’hui, faire une force occulte : la physique l’expliquera un jour, nous en sommes convaincus, par des principes de mécanique essentiellement cartésiens.

La mécanique universelle, telle que Descartes l’a conçue, sera la science à venir. Les études expérimentales elles-mêmes, à mesure qu’elles feront plus de progrès, prendront de plus en plus la forme des sciences démonstratives. La mécanique est déjà ramenée aux mathématiques, la physique tend à se réduire à la mécanique ; de même pour la chimie, pour la physiologie ; la psychologie et les sciences sociales font dans leur propre domaine une part de plus en plus grande à la mécanique : tout apparaît soumis au nombre, au poids, à la mesure, « les nombres régissent le monde. » Arrivera-t-il un jour où, selon le rêve secret de Descartes, l’expérimentation sera remplacée par la démonstration ? Pour que cela eût lieu, il faudrait que l’homme pût égaler ses conceptions aux réalités, ses combinaisons mentales aux combinaisons des choses elles-mêmes. Idéal dont l’esprit humain peut se rapprocher toujours, mais qu’il ne saurait atteindre. Le caractère de la nature, en effet, est l’infinité. Dans une machine vivante il y a une infinité de petites machines ou organes qui en contiennent d’autres encore, et ainsi de suite ; dans une masse quelconque de matière il y a une infinité de parties. Descartes reconnaît lui-même que tout est infiniment grand ou infiniment petit selon le point de comparaison, et on sait la conclusion que Pascal en tire : l’homme a beau enfler ses conceptions, il ne peut les égaler à l’ample sein de la nature. Or, s’il en est ainsi, les constructions de notre esprit et les formules de nos raisonnemens ne sauraient être assez vastes pour tout embrasser : il faut recourir sans cesse à l’expérience, revenir au contact de la réalité même pour saisir sur le fait les combinaisons nouvelles que nous n’aurions pu prévoir. L’univers, mêlant et démêlant toutes choses, comme il le fait sans cesse, demeurera donc toujours supérieur à la pensée de l’homme. Au reste, Descartes le dit lui-même, on ne peut se passer de l’expérience pour savoir ce qui est réalisé actuellement parmi l’infinité des possibles, pour déterminer où en est la grande partie qui se joue sur l’échiquier de l’univers. Descartes n’en conçoit pas moins l’espoir d’arriver du moins à connaître la loi fondamentale de la matière, et cette espérance n’est point aussi étrange qu’elle le semble au premier abord. Il n’y a peut-être pas dans la nature, sous le rapport des qualités, cette infinité qu’elle offre sous