Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/791

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Descartes eut le tort de déclarer inutile l’existence d’une conscience chez les animaux. Mais cette théorie même de l’animal-machine, que Descartes n’a pas soutenue sans hésitation ni restriction, provoqua des discussions fécondes : elle passionna Mme de Sévigné et La Fontaine ; elle fut utile pour faire comprendre le caractère exclusivement mécanique de toutes les fonctions corporelles, même chez l’homme, à plus forte raison chez les animaux. Dans l’homme, l’automate corporel est certainement lié, selon Descartes, à un automate sentant et pensant ; dans l’animal, Descartes se contente de poser, comme seul certain, l’automate corporel. Par là, il manque à toutes les lois de l’analogie ; mais c’est là une erreur de psychologie, non de naturaliste. Descartes demeure le fondateur de la physiologie moderne.


V

Examinez, au Louvre, le portrait de Descartes par Franz Hals ; vous y retrouverez cette grosse tête, « si pleine de raison et d’intelligence, » disait Balzac, ce front large et avancé, ces cheveux noirs et rabattus sur des sourcils accentués, ces yeux grands ouverts, ce nez saillant, cette large bouche dont la lèvre inférieure dépasse légèrement celle de dessus, enfin toute cette physionomie sévère et un peu dédaigneuse où il y avait plus de force que de grâce. On lit sur son visage la méditation patiente, obstinée, qui rappelle le bœuf traçant son sillon. L’œil est scrutateur, il semble dire : qu’est cela ? Les lèvres nous semblent indiquer le jugement et le calme, avec de la bonté. De fait, ses biographes nous apprennent qu’il avait un naturel bon et sensible : il se fit aimer de tous ceux qui le servaient, — y compris son valet Guillot, lequel devint, grâce à ses leçons, professeur de mathématiques. Si Descartes refusa de se marier, ce fut sans doute pour ne point enchaîner sa liberté. On sait qu’en Hollande il connut une personne nommée Hélène, avec laquelle il passa l’hiver de 1634 à 1635 ; au printemps, il s’enferma avec elle dans sa solitude de Deventer. Elle donna le jour à une fille, qui fut baptisée sous le nom de Francine, et qui, cinq ans après, mourut entre les bras de son père, le 7 septembre 1640. Descartes n’éprouva jamais, dans sa vie, de plus grande douleur. Millet a remarqué que c’est après la naissance de Francine et en songeant peut-être à l’avenir de son enfant que Descartes se résolut enfin à publier ses écrits. Il n’aimait pas à faire des livres, — quoiqu’il en dût faire un si grand nombre ; — et il ne les publiait que sur les instances réitérées de ses amis. Sa devise était : Bene vixit, qui bene latuit. Sa prudence