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idée « confuse » où nous percevons vaguement une géométrie cachée.

Restent ces fameuses causes efficientes et ces causes finales qui, sous diverses formes, faisaient l’objet de la spéculation antique et scolastique. Ici, Descartes est impitoyable. Il bannit d’abord du monde extérieur toutes les forces, même les forces motrices, qui ne sont pour lui que des mouvemens actuels. La force, c’est le mouvement intestin et invisible d’où le mouvement visible de masse peut sortir, sous certaines conditions mathématiques. Descartes ne se contente pas de bannir du monde physique la « force ; » c’est encore la « cause » même qu’il remplace par des rapports mathématiques. Faisons-y attention, le principe de causalité a deux sens possibles : ou il désigne la cause efficiente, c’est-à-dire une puissance active, une « efficace, » d’où l’effet sortirait comme par génération, ainsi que l’enfant du ventre de sa mère. C’est là ce que chacun croit apercevoir en soi-même quand il fait effort pour atteindre un but. Mais y a-t-il, aux yeux de la science, rien de semblable dans le monde extérieur ? Non, répond Descartes, et il rejette de la nature visible tout ce qui ressemble, de près ou de loin, à une volonté, à une activité. Sur ce point encore, il inaugure la science moderne de la nature, qui ignore entièrement ou devrait ignorer les causes efficientes, leur vrai domaine étant le monde psychique. Agir et pâtir ne sont, répète Descartes, que « différentes façons de considérer une même chose. » Ce qui est actif sous un rapport est passif sous un autre : la flamme qui brûle le bois est active par rapport aux mouvemens dont ses propres mouvemens sont les principes ; elle est passive par rapport aux mouvemens dont ses propres mouvemens sont les conséquences. D’une activité vraie, qui serait inhérente aux choses étendues comme telles, vous n’avez qu’une idée « confuse » et « obscure, » ce qui prouve bien qu’alors vous ne concevez point « vraiment des choses hors de vous, » mais simplement votre image dans les choses. La seule idée claire, ici, c’est celle de principe et de conséquence, et (puisqu’il s’agit de mouvemens) de principe mathématique et de conséquence mathématique. L’activité, dans le monde des sciences de la nature, n’est donc qu’une métaphore humaine pour exprimer des relations toutes logiques, des rapports de dépendance mathématique entre les termes d’une équation.

Reste le second sens du principe de causalité, qui ne désigne plus alors qu’un rapport de succession constante entre des phénomènes. C’est le sens empirique, sur lequel Bacon et plus tard Stuart Mill ont tant insisté. Je frotte deux morceaux de bois l’un