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M. Nothomb, une fois le mouvement révisionniste engagé, s’est prononcé résolument pour le suffrage universel et pour le référendum royal ; il n’a pas craint de convier les catholiques à entrer hardiment dans ce qu’il appelle « l’ordre nouveau, » à se rallier à la « politique de l’avenir. » Il a provoqué aussitôt dans une fraction de son parti une sorte de soulèvement indigné. Bref, M. Nothomb a été positivement excommunié, renié comme traître, obligé de quitter la présidence de l’association conservatrice qui l’a désavoué. Pourquoi ? Est-ce parce qu’il s’est prononcé, d’accord avec M. Paul Janson, pour le suffrage universel ? Est-ce parce qu’il s’est rallié au référendum royal ? Est-ce parce qu’il a cru le moment venu pour son parti d’inaugurer une politique nouvelle ?

Au fond, on ne s’entend pas sur le suffrage universel ou sur la manière de s’en servir ; on ne s’entend pas plus, on s’entend peut-être encore moins sur le référendum, et tout est d’autant plus compliqué ici que cette nouveauté, dont le chef du cabinet, M. Beernaert, a pris la responsabilité, est, on le sait, l’idée fixe, l’obsession du souverain très respecté de la Belgique. Le roi Léopold, qui passait jusqu’ici pour le plus constitutionnel des princes, n’a pas craint de s’engager pour ainsi dire personnellement dans la lutte, de combattre presque à visage découvert pour conquérir son référendum, qu’il considère comme son instrument de règne. Il serait même allé, dit-on, jusqu’à menacer d’une abdication si on ne lui accordait pas ce droit de dialoguer avec son peuple par le plébiscite, cette arme aussi dangereuse ; peut-être pour lui-même que pour les institutions libres. Si ce n’eût été cette intervention royale, le référendum avait des chances pour être rejeté du premier coup par la majorité des catholiques et des libéraux ; il aurait été, sans doute, écarté assez dédaigneusement. On s’est rendu devant le vœu impatient du prince plus que devant l’éloquence de son premier ministre, M. Beernaert ; mais il est bien clair qu’on s’est rendu sans conviction, que si on a fini par admettre ce nouveau-venu, ce référendum dans le programme de la révision, on ne l’a admis que sous le plus ample bénéfice d’inventaire et de contrôle. Rien ne le prouve mieux que le rapport fait tout dernièrement par M. de Smet de Naeyer au nom de la section centrale du parlement. C’est un rapport sans enthousiasme. On n’admet pas d’abord le référendum comme consultation préalable du peuple avant toute délibération du parlement. On prend de plus toute sorte de précautions pour l’atténuer, le limiter, le ramener à la mesure d’un droit inoffensif. En un mot, c’est bien visible, on cède par égard pour le prince, sans se défendre d’une certaine crainte, en sentant parfaitement le danger de ce droit d’appel au peuple qui est après tout une révolution par la substitution du régime plébiscitaire au large et libéral régime