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si cette disparition de l'empereur ne cachait pas une maladie réelle, plus grave même qu'on ne le disait, ce qui allait sortir de cet imbroglio entre Berlin et Hubertusstock. On s'est d'autant plus laissé aller à toutes les conjectures, que pour la première fois le frère de l'empereur, le prince Henri, s'est trouvé mêlé à ces affaires de politique et de ministère, intervenant en médiateur, au moins en porte-paroles, entre Hubertusstock et Berlin. On a négocié, on a délibéré, et au demeurant, quand l'empereur a pu rentrer ces jours derniers à Berlin, tout était arrangé. Tout a fini par un expédient aussi confus que la crise elle-même. M. de Zediitz reste démissionnaire ; mais il est remplacé par M. de Bosse, un fonctionnaire de bureau aussi religieux, aussi conservateur par ses opinions que son prédécesseur. M. de Caprivi reste chancelier de l'empire ; mais il quitte la présidence du ministère d'État de Prusse, où il a pour successeur une ancienne victime de M. de Bismarck, le comte Eulenbourg. En réalité, que reste-t-il de tout ce mouvement qui a un instant excité la curiosité de l'Allemagne et de l'Europe ? C'est à peine un changement dans quelques positions ministérielles à Berlin ; ce n'est pas, autant qu'on en puisse juger, un changement de politique et le seul résultat de la dernière crise berlinoise est peut-être d'avoir fait beaucoup de bruit pour rien, surtout de laisser les principaux personnages un peu affaiblis.

De quelque façon qu'on juge les choses, le comte Caprivi ne semble pas sortir bien relevé ou bien fortifié de cet imbroglio. Héritier un peu imprévu de la fortune politique de M. de Bismarck, il avait recueilli la double charge de chancelier de l'empire et de président du conseil de Prusse. Il reste chancelier, il n'est plus président du conseil prussien, moins par sa volonté que parce qu'il s'était trop engagé pour la loi scolaire aujourd'hui abandonnée. C'est ce qui ressemble à un échec pour son prestige ; c'est ce qui fait aussi la différence entre M. de Bismarck qui a pu, lui, tenter un jour cette expérience de la division des fonctions sans s'amoindrir, et M. de Caprivi, qui la subit comme une nécessité. Reste à savoir comment le chancelier s'en tirera ; mais ce qu'il y a de plus clair, c'est que l'empereur lui-même n'est peut-être pas sans avoir reçu quelque atteinte de ces récens incidens ; Guillaume II a déjà soumis l'opinion allemande à plus d'une épreuve par la mobilité de ses résolutions. La dernière crise et la retraite à Hubertusstock ne sont pas faites pour effacer la vague inquiétude qu'il a plus d'une fois inspirée par ses discours et que ses actes n'atténuent pas.

C'est un fait évident que, pour tous les peuples grands ou petits, les problèmes s'accumulent aujourd'hui et que, dans leur vie tourmentée, tout se confond : les questions sociales, les questions religieuses, les questions de gouvernement, même les questions de réorganisation constitutionnelle. La Belgique, notre voisine, n'a pas comme l'Allemagne, il est vrai, sa crise ministérielle, bien qu'elle en