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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 mars.

La vie des peuples, dans des temps de transition comme les nôtres, est assurément compliquée, pleine de singularités et d’anomalies. Elle va, cette vie contemporaine, à travers les crises de toute sorte et les contradictions. Elle ne cesse de rouler dans son cours les vœux légitimes et les utopies périlleuses, les progrès utiles et les inventions diaboliques, les sentimens d’une humanité éclairée et les plus grossières passions. Tout se môle dans notre monde, le bien et le mal, les désirs de paix sociale et les révoltes de la haine, les instincts d’une société libérale et les violences de l’esprit de secte, le patriotisme et l’anarchisme. Le malheur est que dans ce vaste mouvement où se confondent tous les élémens bons et mauvais, il manque une direction, un frein, et faute du frein, de la direction, on ne sait plus trop où l’on va ; on vit au jour le jour, flottant entre les raffinemens d’une civilisation poussée à bout et les menaces d’une barbarie renaissante. On se repose par instans dans une sécurité trompeuse ; on croit du moins pouvoir se remettre à travailler en paix, à perfectionner les institutions, à discuter sur les finances, sur le commerce, sur les réformes sociales, sur la création des universités nouvelles, et on se réveille tout d’un coup en face de ces sinistres incidens qui se succèdent et se pressent. On se heurte aux explosions de dynamite et à la violation des églises, sous prétexte de défendre le pouvoir civil. Voilà le progrès qui se dessine si on ne se décide à y mettre bon ordre, à ressaisir la protection, la direction de la société française.

Assurément, il y a peu de temps encore, on ne l’aurait pas cru. On n’aurait pas supposé que dans une ville comme Paris, le plus vaste foyer des arts, des sciences, des plus rares industries, de la