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misérables chargés d’ensevelir les morts s’y distinguèrent entre tous par des excès sans nom. Il fallut décréter que si, les « malades s’y comportaient immodestement, blasphémaient le nom de Dieu, y commettaient paillardise en allant chercher femme ou fille à cet effet, ils seraient pendus, étranglés ou bien arquebuses selon le rapport qu’en ferait Baudon, barbier desdits pestes. » Le clergé s’y montra anti chrétien en supprimant ses aumônes habituelles, et en fuyant les moribonds qui demandaient la confession. Le maire dut intervenir et gourmander ces hommes sans cœur. Les jésuites, qui étaient à Bourges depuis 1573, furent les seuls qui payèrent bravement de leurs personnes. Le duc d’Alençon, indécis et flottant devant tant de calamités, céda le bailliage du Berry à M. de La Châtre, le même qui traita si durement les Sancerrois. Il était temps, du reste, qu’une main énergique prît la direction du duché ; la misère était si affreuse dans les campagnes, que les paysans en étaient réduits à démolir leurs misérables demeures, pour en vendre les matériaux contre un morceau de pain. Plus d’assemblées joyeuses sous les ormes centenaires, de gais baptêmes, de noces bruyantes ; plus d’abbayes ni d’abbés ; plus d’églises ni de cultes ; partout la ruine et la famine. On songe au tableau que La Bruyère fit, un siècle plus tard, du serf courbé sur la glèbe, et ce tableau paraît au-dessous de la vérité.

C’est sous ces sinistres auspices que fut formée en 1576 la Sainte-Ligue à laquelle M. de La Châtre, devenu un très puissant personnage, s’affilia. La Ligue, comme l’avait été la réforme religieuse et comme le sera la Fronde, n’est qu’une nouvelle révolte de la féodalité expirante contre le pouvoir royal. Celui-ci doit finir par triompher, mais que de sang sa victoire aura coûté à la France, et que de misères il lui aura values !

Avec M. de La Châtre, la ville de Bourges appartint donc désormais aux ennemis du roi ; mais il lui fallut compter bientôt avec l’heureux Henri de Navarre qui, le 28 mars 1590, écrivait à la comtesse de Grammont : « Mon cœur, j’ay faict un voyage de huict jours vers le Berry, où je n’ay été inutile, ayant pris miraculeusement le chasteau d’Argenton, place plus forte que Lectoure, desfait une troupe choisie de la Ligue qui, la venoient secourir ; réduict bien 300 gentilshommes ligueurs, les uns à porter les armes avec moy, les autres promis de ne bouger, et ont pris saulvegarde, les autres contraints de ne bouger de chez eux, de peur qu’on ne leur prenne leurs maisons. J’ai pris aussi Le Blanc, en Berry, et dix ou douze autres forts. Cela s’appelle cent mille écus de revenus. Je me porte bien, Dieu mercy, n’aimant rien comme vous au monde. J’ay receu vostre lettre ; il n’a fallu guère de temps à la lire… Bonjour, mon