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enfermé à Loches, — dans la forteresse du Lys-Saint-George, près de La Châtre, Ludovic Sforza, dit le More, et duc de Milan ; il avait été l’un des plus ardens adversaires du roi de France, lequel, à la suite d’une trahison, le fit prisonnier. En 1808, par trahison encore, le roi d’Espagne qui devait être Ferdinand VII était, par ordre de Napoléon Ier, interné en Berry, au château de Valençay, qu’habita M. de Talleyrand. C’est l’éloignement de toute frontière qui, certainement, valait à notre province ce triste privilège. Peu de routes, et beaucoup de forêts : impossible de songer à une évasion ou à un enlèvement.

Sous le règne de Louis XII également, la reconstruction des églises, des cloîtres, des palais, des maisons à pignons, détruits, sous Charles VIII, par l’incendie effroyable de 1487, appelèrent dans le pays berrichon un grand nombre d’habiles artisans qui y firent des élèves, et bientôt des émules de leurs professeurs. « On s’y entêta de grands édifices, dit un historien de l’époque, et c’est à cet « entêtement » que les maçons et sculpteurs du Berry, les imagiers, les fabricans de vitraux d’église et de chapelle, acquirent une réputation européenne. Clément Marot chanta l’un d’eux, Jean Lallemand, pour la construction d’un hôtel, une merveille de ce temps si mémorable par le réveil de tous les arts. Saint-Étienne, la magnifique cathédrale de Bourges, mérite une mention particulière, car il en est peu qui égalent sa magnificence. On ne sait au juste quand fut construite la première église sur laquelle s’est élevée, siècle par siècle, la merveille actuelle. La construction des portails latéraux serait de 1130 à 1140, tandis que l’abside et le chœur datent du commencement, et la nef de la fin du XIIIe siècle.

George Sand qui, dans sa jeunesse, la visita, la décrivit avec enthousiasme :

« Mon Dieu, s’écrie-t-elle dans une lettre qui n’a jamais été publiée, les belles colonnes, les belles voûtes, les beaux vitrages ! Tout cela dépasse Notre-Dame de Paris. Quant à l’extérieur, cette dernière l’emporte certainement pour la régularité, le goût, la richesse et la grâce. Saint-Étienne offre plus de grandeur et de bizarrerie. Il y a moins de sujet pour l’admiration et davantage pour l’étonnement, je dirai presque l’effroi. C’est le romantisme du romantisme, au lieu que Notre-Dame en est le classique. Notre-Dame, c’est, parmi les monumens gothiques, ce que Chateaubriand est parmi les écrivains, et Saint-Étienne ce que Victor Hugo est parmi les poètes, ou bien c’est Byron et Hoffmann, Raphaël et Salvator, Rossini et Weber. Au reste, il me faudrait une huitaine de pages pour vous dire tout ce que j’en pense, et c’est bien ce que je pense faire un jour, Dieu aidant. Notre-Dame est un tout sublime, où, comme dit fort bien Hugo, le génie de l’architecture corrige à chaque instant le caprice de