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— Pourquoi ? parce que tu quittes Mrs Jennett ?

— Non pas pour cela.

— Parce que tu me quittes ? ..

La réponse se fit attendre longtemps. Dick n’osait regarder son amie. Il sentait tout ce que les quatre années précédentes avaient été pour lui ; il le sentait d’autant plus vivement qu’il ne trouvait point de paroles.

— Je ne sais pas, dit-elle enfin. Je suppose que c’est ça…

— Maisie, tu dois le savoir au juste. Je ne suppose pas, moi !

— Rentrons ! dit faiblement Maisie.

Mais Dick n’avait aucune envie de battre en retraite.

— Je ne m’entends pas à bien dire les choses et je suis très fâché de t’avoir contrariée l’autre soir à propos d’Amomma. Mais tout est changé aujourd’hui… Et tu aurais bien pu m’avertir que tu t’en allais au lieu de me laisser le découvrir tout seul !

— Tu n’as rien découvert du tout. Je te l’ai dit… A quoi bon se lamenter ?

— Oh ! Maisie, nous avons été ensemble des années et je ne savais pas combien j’y tenais.

— Toi ? Cela t’était bien égal !

— Dans le temps,.. mais à présent… cela ne m’est plus égal du tout. Ma chérie, dis que ça ne t’est pas égal à toi non plus !

— Je te le dis et c’est la vérité, mais ça ne sert à rien, puisque je m’en vais.

— Tu peux promettre avant de t’en aller, chérie…

Cette seconde fois, le mot de chérie lui vint plus aisément aux lèvres que la première. Il n’y avait pas eu beaucoup de tendresse dans la vie de Dick, ni au logis, ni à l’école ; il lui fallait trouver d’instinct les épithètes caressantes. Dick prit la petite main noircie par les décharges du pistolet.

— Je promets, dit-elle solennellement, mais entre gens qui s’aiment bien, les promesses sont inutiles.

— Tu m’aimes donc bien ? ..

Pour la première fois depuis cinq minutes leurs yeux se rencontrèrent et parlèrent pour eux.

— Oh ! Dick, non ! Je t’en prie ! C’est bon quand nous nous disons bonjour, mais maintenant ce serait tout autre chose.

Amomma les regardait de loin. S’il les avait vus se quereller souvent, jamais encore on n’avait échangé de baisers en sa présence. Le pavot jaune avait plus d’expérience apparemment, car il approuvait de la tête. En tant que baiser, celui-ci était fort maladroit, mais comme c’était le premier, en dehors de ceux qu’exigeait le devoir, le premier baiser qu’aucun des deux eût donné ou reçu, il leur ouvrit