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d’être fécond et inventif, n’a plus la simplicité forte et naïve des grandes époques. M. Helbig estime de plus que la tendance réaliste formellement accusée dans les sculptures de l’autel de Pergame n’est pas encore, dans le groupe de Rhodes, clairement prononcée. Le corps du père montre, il est vrai, une étonnante étude physiologique, mais qui ne dépasse pas la mesure de ce que le sujet imposait à l’artiste. M. Helbig invoque enfin un argument de détail qui peut avoir sa valeur. Il remarque que, dans le Laocoon comme dans toutes les œuvres de la statuaire avant cette époque, les globes des yeux n’ont pas ce relief qu’on note déjà dans la Gigantomachie de Pergame, et qui va devenir un caractère constant de l’art gréco-romain.

Je m’étonne qu’il n’ait pas mentionné une circonstance intéressante, qui confirme en partie son opinion sur cette date tant discutée. Un des plus beaux épisodes de l’épopée sculptée à Pergame représente la lutte de Minerve contre un des Titans. La déesse, qui tient vigoureusement son ennemi par les cheveux, le précipite à terre, tandis que le serpent sacré enlace déjà une des jambes du vaincu. La scène est complétée par une Victoire aux grandes ailes qui couronne Minerve et par la présence d’une divinité dont le buste sort de terre : c’est probablement la déesse Terre elle-même, mère des Titans ; elle assiste avec désespoir à la défaite et à la mort de son fils. Le Titan est jeune et imberbe ; il est ailé ; mais tout le mouvement de son corps tordu par la douleur, l’allure de sa tête et de ses bras, la souffrance et le désespoir que trahit son visage, la présence du serpent, établissent entre le bas-relief de Pergame et le groupe du Vatican une ressemblance qu’on ne saurait méconnaître. On sait que le bras droit du Laocoon, tel qu’on le voit aujourd’hui au Vatican, dressé pour saisir l’un des reptiles, est une restauration du XVIIIe siècle ; on a conjecturé que ce bras droit devait, dans l’œuvre originale, se replier jusque derrière la tête, et c’est ainsi qu’aurait voulu le restituer, dit-on, Michel-Ange. Or le bas-relief de Pergame le figure précisément ainsi, dans l’effort que fait le Titan pour maîtriser la main de la déesse qui a saisi sa chevelure. M. Conze a voulu conclure de la ressemblance partielle entre les deux monumens que les auteurs du groupe avaient imité ceux de la frise, et que, celle-ci ayant probablement pour date le règne d’Eumène II (197-175), il fallait dater le Laocoon de l’année 100 environ. Tout au moins est-il vraisemblable que cette analogie certaine indique une parenté et une proximité chronologique. Elle met à néant, en particulier, la conjecture qui, sur la loi d’un texte obscur de Pline l’Ancien, placerait l’exécution du groupe sous le règne de l’empereur Titus.

De quels souvenirs, historiques ou mystiques, le groupe