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autour de la tête. La bouche est entr’ouverte et respire aisément. Le visage n’exprime pas la souffrance ni les affres de la mort. Tout au plus y trouverait-on les traces d’une agitation dans le sommeil. — Cette tête est sans doute celle d’une des Furies endormie sur les genoux d’une de ses compagnes. On trouve la scène ainsi figurée sur un vase grec. Ce doit être un fragment détaché d’un groupe inconnu qui représentait l’épisode auquel Eschyle fait allusion dans ses Euménides, alors qu’Oreste prend la fuite, en profitant du sommeil des déesses vengeresses.

Que deviennent, à la lueur de cette critique contemporaine bien informée et pénétrante, des œuvres consacrées telles que l’Apollon du Belvédère et le groupe du Laocoon ? Sont-ce des originaux ou des copies ? Ces marbres ont-ils subi des altérations notables ? A quelles dates, à quelles écoles, à quels maîtres faut-il attribuer l’un et l’autre ? Comment doit-on les interpréter ?

On peut compter par centaines les dissertations qui ont essayé de répondre à ces diverses questions.

Trouvé, en 1503, à Grotta-Ferrata, dans un domaine du cardinal Julien de La Rovère, qui, devenu pape sous le nom de Jules II, le fit placer au Belvédère, où il est resté, l’Apollon était mutilé. Montorsoli, un élève de Michel-Ange, le restaura ; il y ajouta surtout la main gauche, dans laquelle il plaça un arc. Il pensait, et ce fut l’opinion commune jusqu’à nos jours, que le Dieu, qui porte en effet le carquois, était représenté au moment où il vient de lancer la flèche, dédaigneux de son ennemi et sur de la victoire, contre le serpent Python ou bien contre un des Géans. Or voilà qu’en 1860 l’archéologue russe Stephani fit connaître une statuette de bronze appartenant au comte Serge Stroganof, qui reproduisait évidemment l’Apollon de Rome, mais avec un tout autre objet dans la main gauche. On voit ici, au lieu de l’arc, une forme indécise, comme les bords frangés et repliés d’une étoffe ou d’une peau séchée. On remarqua de plus qu’au lieu même où la statuette avait été découverte, en Épire, on avait recueilli un petit gorgoneion de bronze, perdu depuis. Stephani crut pouvoir rapprocher de la statuette ce lragment, et conclut que l’Apollon avait été représenté armé de la redoutable égide, qui frappait de mort tous ceux dont le regard la rencontrait. Les critiques se sont partagés entre les deux opinions ; ils ont cherché des argumens dans les souvenirs légendaires et dans les textes littéraires ou poétiques. On a cité le livre XV de l’Iliade : — « Les Troyens, dit le poète, commencent l’attaque. Hector les conduit. Apollon le précède, environné d’un nuage ; il tient en main l’égide impétueuse, terrible, hérissée de traits et dardant des flammes, que Vulcain remit à Jupiter pour être portée dans les batailles et y répandre la terreur et la fuite. »