Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/552

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

verve de gamin français qu’il était formé de la composition d’une douzaine d’œufs. La philosophie se mêlait à toutes les joyeusetés. Un exploit de Mimi, la guenon du prince royal, qui avait brûlé aux bougies le manuscrit d’une traduction de Wolf, pendant que son maître était à souper, donnait lieu à un échange de vues sur les raisons que pouvait avoir cette bête de ne pas aimer la philosophie. Mais de quoi ne parlait-on pas ?


Nous parlons de philosophie,
Des charmes de la vérité,
De Newton, de l’astronomie,
De peinture et de poésie,
D’histoire et de l’antiquité,
Des heureux talens, du génie,
De la Grèce et de l’Italie,
D’amour, de vers, de volupté.


Chacun des convives, compétent en toute matière et capable de s’intéresser à tout, avait sa note particulière et la donnait. La présence des dames empêchait que la conversation ne devînt doctorale. L’esprit donnait la couleur gaie et « tempérait la morosité et la trop grande gravité philosophique, qui ne se laisse pas aisément dérider le front par les Grâces. »

Tous les soirs, il y avait concert au château. Le goût du prince pour la musique était devenu une passion : « Nous faisons de la musique à toute sauce. » Il avait toujours sous la main sa traverse, et il interrompait sa lecture par des airs de flûte. Entre deux lettres, ou bien au milieu de quelque dissertation philosophique ou politique, il composait des symphonies. Les critiques d’Allemagne discutent aujourd’hui le génie musical du grand roi. Ils y trouvent les défauts du temps, une certaine monotonie, une brièveté de souffle, du dilettantisme, de l’afféterie, trop de facilité, mais aussi de l’habileté, de la vivacité, de l’originalité, de l’invention, aussi de la sensibilité, de la mélancolie, de la rêverie, même de la profondeur. Ils disent que Frédéric musicien est très supérieur à Frédéric poète : le poète, en lui, n’est pas maître de sa forme ; il est le disciple d’un esprit étranger et il en est le tributaire, au lieu que le musicien traduit directement la voix intérieure, la Stimmung. Ils disent encore qu’à cet homme, qui a eu le malheur de n’aimer jamais une femme, la musique en exprimant le vague de l’âme, et, comme une dévotion, comme une adoration, a tenu lieu de l’amour. Il est certain qu’il a goûté et savouré toutes les joies de la musique. Il y cherche le plaisir intellectuel « d’entendre et de déchiffrer les pensées du compositeur. » Il l’aime, quand elle est jolie et gaie, bien ordonnée et quand « les parties lui paraissent