Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/545

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Prusse. À trente ans, il prenait son congé avec rang de capitaine, pour se donner tout entier aux arts. Il était musicien, peintre, sculpteur, architecte, avec une prédilection pour l’architecture. Il avait travaillé dans l’atelier de Pesne à Berlin, mais il ne reconnaissait pour maîtres que la nature et l’antiquité, qu’il aimait l’une et l’autre comme un païen. Dans un voyage en Italie, il n’admira que les monumens antiques. Tout le moderne lui parut n’être qu’une décadence : « Quel déplorable malheur, écrit-il, que l’empereur Constantin n’ait pas eu aussi bon goût en art qu’en religion ! Avoir détruit les temples païens, pour bâtir avec ces admirables ruines de si méchantes églises au vrai Dieu ! Comment, alors que s’est levée la lumière de la foi, la raison a-t-elle pu tomber en de telles ténèbres ? Jusqu’à l’heure présente, elle ne s’est pas encore relevée en Italie. » Même pour les grands artistes de la renaissance, il est sévère. Les plus grands noms ne lui en imposent pas. Il n’admet pas qu’un Christ, « qui s’élève au ciel dans une atmosphère de froideur sibérienne, pendant qu’au premier plan toute l’attention des spectateurs est occupée aux contorsions d’un enfant possédé du démon, ait toute la valeur du monde parce que c’est un Raphaël qui l’ait peint. » Il se vante d’être un hérétique contre la tradition. Il regarde d’ailleurs toute l’Italie du haut de son orgueil de Germain, méprisant la bassesse du peuple obséquieux, servile et perfide, et toute la valetaille des princes nourrie par les pourboires des étrangers qui visitent les collections, et les princes eux-mêmes, les uns, hommes d’église, qui se donnent des mines de dévots et de penseurs, les autres, hommes du monde, qui ont appris chez les jésuites à bien conduire une voiture et à consoler les condamnés à mort. Il se détourne de ces laideurs pour regarder la nature et dessiner des paysages, pour regarder l’antiquité et dessiner des monumens. Encore les monumens romains ne lui plaisent-ils que lorsqu’ils s’inspirent de l’art grec ; son imagination le ramenait sans cesse aux temples et aux portiques d’Athènes et de Delphes.

À Rheinsberg, où il est arrivé d’Italie, les mains pleines d’esquisses et la tête en travail de projets, il a été nommé par Frédéric intendant des bâtimens. La bâtisse était déjà commencée : il l’a hellénisée du mieux qu’il a pu. C’est lui qui a élevé la colonnade entre les deux tours, et, à l’entrée du parc, un portique circulaire à colonnes corinthiennes, portant des vases et des statues. Il n’avait aucun scrupule à transporter l’art de l’Ionie et de la Doride aux confins du Mecklembourg. Il ne sentait pas qu’il faut aux marbres la clémence de l’air, et que les arches des portiques s’ouvrent dans le ciel bleu. Un jour pourtant, il chercha une combinaison d’humour germanique et d’art grec dans le projet d’un temple