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délibéré, parfaitement persuadé qu’il représente un pouvoir nouveau, une politique nouvelle, entendant bien être un personnage sérieux. Il a pris sans façon l’attitude d’un premier ministre pénétré de sa mission et de son importance. A dire vrai, M. le président du conseil s’est peut-être fait quelque illusion, non pas sur Son importance, mais sur la nouveauté de son rôle. Cette déclaration même par laquelle il a signalé son avènement n’a rien de particulièrement inattendu et original ; pour une bonne part, elle ressemble à bien d’autres. Le chef du nouveau cabinet a fait son compliment à la chambre de la législation économique qu’elle vient de voter ; il l’a entretenue de toute sorte de projets sur « l’amélioration du sort des travailleurs, » sur l’hygiène des ateliers, sur l’arbitrage entre patrons et ouvriers, sur les caisses de retraites ouvrières, sur la réforme du régime des boissons. Il s’est cru obligé aussi de flatter les passions républicaines, de faire appel à l’union des républicains. C’est l’air de bravoure dans toutes les déclarations. Soit ! mais ce n’était là évidemment que la partie facile et banale du programme. Restait le point le plus délicat. Le dernier ministère venait de tomber dans une sorte d’échauffourée pour sa politique religieuse, ou si l’on, veut à l’occasion de sa politique religieuse, de ses prétendues négociations avec le Vatican, de ses rapports avec l’Église, de la loi sur les associations ; il était tombé faute de décision et de clarté. Qu’avait à dire le nouveau ministère ? quelles explications avait-il à donner et sur ses relations avec le saint-siège et sur le concordat et sur la loi des associations ? quelle conduite se proposait-il de suivre dans les affaires religieuses ? c’est là que l’attendaient les radicaux impatiens de profiter de cette crise, de pouvoir pour rouvrir le feu contre la politique d’apaisement et irriter les conflits s’ils le pouvaient.

Eh bien ! sur ce point le nouveau ministère n’a fait que continuer l’ancien. Il a tenu à peu près le même langage, et dans sa déclaration et dans le débat auquel il a été immédiatement provoqué. Le chef du cabinet, M. Loubet, comme son prédécesseur, s’est hâté de déclarer qu’il ne se croyait pas la mission de préparer la séparation de l’Église et de l’Etat, qu’il n’avait d’autre devoir que de « maintenir avec fermeté la législation concordataire. » C’est ce qui a été dit plus d’une fois ! M. le ministre des affaires étrangères d’aujourd’hui, qui était le ministre des affaires étrangères d’hier, n’a point hésité à son tour à compléter les déclarations de M. le président du conseil en dévoilant le secret de ces fameuses négociations avec le pape dont on a tant parlé, qui sont tout ce qu’il y a de plus avouable et de plus utile. À ces explications toutes simples, faites pour rassurer à demi les modérés, on a cru devoir, il est vrai, ajouter selon l’habitude quelques gros mots, quelques menaces contre l’Église dans l’espoir de désarmer les radicaux. C’est encore ce qui s’est fait plus d’une fois ! Le nouveau