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Bourbons : « Si vous êtes remontés sur le trône, c’est par ma grâce. » Comme elle eût dit volontiers à Dieu : « Si vous êtes rétabli dans le ciel, c’est par mes soins. » Il était plus difficile encore de donner les premières places à un personnage aussi encombrant. Le spirituel Louis XVIII ne s’y résigna jamais, sachant bien qu’une fois sur le devant de la scène, Chateaubriand se fût étalé avec une turbulence qui eût relégué le roi à l’arrière-plan.

Mais ce n’était pas seulement les petitesses de l’homme qui le rendaient impossible ; c’était surtout les grands côtés de son caractère et de son intelligence. D’abord, cette roche de fierté dure et sauvage qui affleurait sans cesse, déchirant les petites trames qu’il avait patiemment ourdies pour satisfaire son ambition. Toujours le sans-souci frondeur du Breton, qui lui avait fait manquer sa fortune lors de sa première présentation à la cour, sous Louis XVI ; et plus au fond du cœur encore, le brusque dédain de tous les biens convoités, que l’on touche enfin, et que l’on rejette, parce que « ce n’est que cela. » Toujours le rire incoercible, à la Pascal, qui s’empare de lui devant les grandeurs de chair, devant la sienne propre, quand il revêt son habit de ministre ou d’ambassadeur. — « En dernier résultat, tout m’étant égal, je n’insistais pas. En politique, la chaleur de mes opinions n’a jamais excédé la longueur de mon discours ou de ma brochure. » En politique, en amour, en tout. Aussitôt atteinte, la sylphide se métamorphose et l’appelle ailleurs. — « Je n’étais occupé qu’à rapetisser ma vie pour la mettre au niveau de la société, » disait déjà René. Il s’y efforce consciencieusement ; mais sa vraie nature rebondit et se venge vite ; il se rembarque sur l’Indien. Voyez, dans les Mémoires, le tableau qu’il fait du conseil des ministres, « des diverses attitudes de ces têtes chauves, » et l’envolée vers les anciens rêves qui l’arrache à ce tapis vert. Voyez, dans l’ambassade de Rome, le crayon malicieux et juste d’un corps diplomatique : « Par-ci, par-là, j’ai entrevu de petits finauds de ministres de divers petits États, tout scandalisés du bon marché que je fais de mon ambassade : leur importance boutonnée, gourmée, silencieuse, marche les jambes serrées, à pas étroits ; elle a l’air prête à crever de secrets, qu’elle ignore. » Ces ironies trahissent les blessures de son ambition, il regrette ce qu’il méprise, soit ; mais tout au fond, quand Chateaubriand parle ainsi, il est plus sincère qu’il ne le croit lui-même ; c’est l’enfant de Combourg qui lutte avec le pair de France, et l’enfant a toujours le dernier mot.

Mêmes obstacles à l’exercice du pouvoir dans l’intelligence de Chateaubriand. Indépendant des partis qu’il juge trop bien,