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II

Marat venait d’être tué, et sa popularité, accrue par l’apothéose de son martyre, avait pris auprès du peuple et du gouvernement les proportions d’une déification. Il avait laissé, vivant modestement, sinon même précairement, à Genève, un frère du nom d’Olivier qui se livrait à des travaux d’histoire naturelle, s’occupant particulièrement de la conservation d’insectes. Olivier Marat avait acquis en ce métier une certaine réputation, et il était passé maître en l’art de collectionner, en les maintenant intactes, des araignées et des chenilles soufflées. Pour préparer ces dernières, il introduisait dans leur orifice antérieur ou postérieur un chalumeau ; puis, en soufflant, il expulsait de leur enveloppe extérieure toutes les matières qu’elle contenait. Les chenilles ainsi vidées étaient piquées ensuite dans des boîtes.

Au lieu de végéter tristement en Suisse, Olivier Marat crut pouvoir s’autoriser de son habileté et aussi de la déification dont son frère était l’objet à Paris, pour solliciter un emploi qui lui assurerait, sans grand’peine, l’aisance pour le reste de ses jours. Il alla trouver le ministre plénipotentiaire de la république française à Genève, le citoyen Soulavie, ancien gazetier, auteur de plusieurs mémoires apocryphes des grands hommes du XVIIIe siècle, et il le pria de le recommander chaudement, tant au ministre de l’intérieur qu’à Daubenton, directeur du Muséum, à l’effet d’obtenir une place d’aide-naturaliste, et surtout un logement dans les bâtimens du Muséum.

Soulavie n’eut garde de perdre une occasion d’exercer son style épistolaire. Il remit à la femme d’Olivier Marat deux lettres, l’une pour le ministre, l’autre pour Daubenton. Dans cette dernière, il demandait au « Nestor de l’histoire naturelle » de faire valoir auprès des professeurs du Muséum les talens d’Olivier Marat et terminait en lui rappelant des souvenirs personnels. « Peut-être, te ressouviendras-tu, citoyen Daubenton, qu’il y a seize années que je m’occupay de quelques descriptions de basaltes et objets de cette nature. Je retrouve ici des sçavans qui me parlent de toy ; je retrouve des vues et des tableaux sublimes de la nature, et, en outre, des patriotes qui, par une révolution, viennent d’établir les droits de la nature et de l’homme. Je te souhaite les jours de Nestor[1]. »

  1. Archives du muséum d’histoire naturelle (lettre du 29 pluviôse an II).