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ne comprenaient même plus la langue savante et pompeuse que leur parlait leur pasteur. Aussi, celui-ci ne tarda-t-il pas à revenir de ses illusions. Dans une nouvelle allocution, il laissa un libre cours à sa douleur, à son indignation : « O ville d’Athènes, s’écria-t-il, mère de la sagesse, à quel degré d’ignorance es-tu réduite ! Lorsque je prononçai récemment mon discours de bienvenue si simple, si exempt d’art et de prétention, il me semblait que je vous disais des choses incompréhensibles dans une langue étrangère, tel que le persan ou le scythe. »

La contemplation des merveilles enfantées à Athènes par tant d’artistes célèbres pouvait-elle, du moins, consoler le noble archevêque de vivre dans ce Sahara intellectuel ? À l’en croire, en dehors des monumens groupés sur l’Acropole et de la lanterne de Démosthène, il ne serait plus resté à ce moment que des ruines informes : de l’Heliœa, du Péripatos et du Lycée, plus de trace ; l’Aréopage seul montrait encore ses rochers dénudés ; du Pœcile, on n’apercevait plus que de pauvres vestiges, au milieu desquels paissaient les brebis.

La misère qui régnait dans cette région autrefois si fertile n’excusait que trop l’ignorance de ses habitans. La sécheresse, jointe aux incursions des pirates, avait fait de l’Attique un désert : dans les bois d’oliviers, elle avait tari les ruisseaux, dans les jardins les sources ; Callirrhoé ne coulait plus ; les abeilles avaient abandonné l’Hymette ; les brebis, les pâturages. Akominatos se persuadait qu’il habitait une autre Jérusalem, assiégée par les Babyloniens ; pareil à Jérémie, il versait des larmes amères sur ces remparts démantelés, sur ces rues désertes, sur cette populace vêtue de haillons, trompant sa faim avec du misérable pain d’orge. Plus d’industrie, plus de commerce. Tandis qu’à Thèbes et à Corinthe les fabriques de soieries prospéraient de plus belle, Athènes ne comptait plus un seul tisserand habitué à travailler cette matière précieuse ; il fallait faire venir de loin jusqu’aux charrons.

La déchéance intellectuelle n’indignait pas moins le savant prélat, nourri dans tous les raffinemens d’une capitale telle que Byzance. Dans cette ville provinciale, ne possédant pour toutes ressources littéraires qu’une bibliothèque archiépiscopale qui tenait dans deux armoires, Akominatos craignait de devenir un barbare ; par mesure de précaution il avait apporté de Byzance une petite collection de manuscrits comprenant les œuvres d’Homère, d’Aristote, de Galien, d’Euclide, de Thucydide, de Nicander et de quelques autres écrivains de l’âge d’or.

Tant de déceptions n’empêchèrent pas Akominatos de se prendre d’une affection profonde pour ses nouveaux concitoyens ; à tout