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« MM. les administrateurs du département sont venus à notre secours, » écrit encore la municipalité d’Antibes à celle de Toulon. « Sous peu de jours, nous serons hors d’insultes, et alors nous attendrons avec une espèce d’impatience les ennemis. Mais nous craignons qu’ils ne trompent notre attente, parce que les traîtres sont toujours lâches[1]… » — L’héroïsme est devenu l’état d’esprit même de la nation tout entière. S’il se manifeste d’abord sur les points voisins de ceux où les émigrés trament leurs complots, il gagne de proche en proche jusqu’aux parties de la France qui semblent n’avoir rien à redouter de l’invasion. Une généreuse envie de coopérer au salut commun s’empare de villes du centre qui pourraient, en des temps de moins chaude solidarité nationale, se désintéresser d’un péril dont la menace est pour elles si lointaine. A la nouvelle d’une prochaine agression des émigrés et de leurs alliés contre Antibes, Le Puy s’émeut et veut aussitôt, comme Toulon, voler au secours de la vaillante petite ville. Un registre est déposé à la maison commune ; les jeunes gens viennent en foule s’y inscrire ; en quelques heures, une légion de volontaires est formée[2]. L’Auvergne a soif de combattre et de mourir pour la Provence, c’est-à-dire pour la patrie. Car il n’y a plus d’égoïsme nulle part : à l’étroit particularisme provincial s’est substituée une haute et large conception de la nation. Cette idée nouvelle vaut à elle seule des armées ; elle va produire des miracles, et c’est assurément un des plus beaux spectacles offerts au monde que cet universel élan d’un grand peuple qui vient de prendre conscience de lui-même et qui, poussé à bout par de folles provocations, se dresse tout à coup, animé d’une force invincible que ses ennemis ont mise en lui par ces provocations mêmes.

Tel est en effet le résultat inattendu des intrigues de l’émigration. Elles inquiètent, elles irritent la nation ; mais elles développent en même temps jusqu’au paroxysme le sentiment patriotique, elles resserrent, elles fortifient l’unité du pays, elles le préparent peu à peu à l’idée de combattre jusqu’à la mort pour son indépendance ; elles font aimer la Révolution à beaucoup de gens qui ne l’auraient, ni aimée avec la même chaleur, ni servie avec le même dévoûment, si ses adversaires n’avaient eu la maladresse d’obliger tout Français à confondre la cause de la Révolution avec celle de la patrie elle-même. Vienne la crise de la première invasion, la France est prête. Elle s’attendait à ce choc : elle le repousse victorieusement. Et ce sont les émigrés

  1. Archives de Toulon. — Lettre du 29 novembre 1790.
  2. Archives de Toulon. — Lettre de la municipalité du Puy à celle d’Antibes, du 18 décembre 1790.