Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/426

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus d’invasion, de complot contre la Révolution qu’il s’agit, mais d’une sorte de Saint-Barthélémy tramée contre les patriotes. « Je me vois avec douleur dans le cas de vous confirmer la phrénésie des Français émigrés. Le même emportement et la même violence règnent toujours dans leurs propos. J’en suis instruit par diverses voyes ; les menaces sont affreuses, nulle tête n’est assés sacrée pour être respectée ; ils prétendent avoir dans Paris même un parti assés nombreux pour tout oser avec espoir de succez ; il n’attend, disent-ils, que l’étincelle pour éclater. Ils annoncent une grande entreprise vers le 1er janvier. Les lettres particulières de Coblentz sont montées sur le même ton[1]… » Leseurre ajoute, il est vrai, ces paroles remarquables : « Ces discours sont si universels, se tiennent avec si peu de précaution dans plusieurs maisons françaises principales, semblent se répandre même avec tant d’affectation, paraissent si peu proportionnés aux moyens, que je suis bien tenté de croire que ce n’est que pure forfanterie, et qu’à défaut de forces suffisantes au dehors, on tâche de semer l’inquiétude, l’effroi, la terreur au dedans pour achever d’y mettre la confusion, dans l’espoir de faire naître la contre-révolution de l’excès du désordre même[2]… » Les imaginations ne sont pas moins hantées désormais par cette révélation terrifiante d’un projet d’égorgement en masse, formé contre les patriotes par les perfides adversaires de la Révolution. A nous, qui sommes de sang-froid, l’accusation ne parait pas reposer sur une base bien solide. Mais à des gens qui traversaient une pareille crise, qui vivaient en pleine lutte, dont toutes les facultés d’enthousiasme, de crainte, de colère, étaient démesurément tendues et vibrantes, qu’importait, je vous le demande, qu’une telle idée fût déraisonnable ? .. Se figure-t-on qu’ils avaient, — était-il même possible qu’ils eussent, — conservé l’équilibre mental nécessaire pour examiner froidement un fait, discerner le vrai du faux, le chimérique du réel ? .. Non ; ils pensaient, comme ils agissaient, par impulsions brusques et irréfléchies. La dénonciation de Leseurre manquait de vraisemblance : elle n’en parut que plus clairement démontrée. Le propre de toutes les convictions profondes n’est-il pas de trouver, dans l’absurdité même

  1. Archives départementales du Var à Draguignan. — Lettre du consul de France à Nice, du 19 décembre 1791. Série L, 256.
  2. Ibid.