Henry, n’étaient plus pour l’administration de la ville que des objets bien accessoires ; l’état d’agitation pour l’autorité, celui de fermentation et d’émeute pour la population, paraissaient être devenus l’état normal : les affaires se rapportant à la politique… étaient celles qui dominaient exclusivement tous les esprits[1]… » La conseillère de tant d’inepties, de tant d’iniquités et de tant de violences ; le ferment malfaisant d’agitations stériles où se dépense et s’épuise le meilleur des forces vives d’un pays ; la « politique, » — considérée non pas comme une noble et haute science réservée aux plus éclairés et aux plus sages, mais comme une carrière ouverte à la turbulence des brouillons, aux convoitises des ambitieux, à l’intolérance étroite des sectaires, — la néfaste politique moderne vient de naître.
Et qu’on ne croie pas que ce soient les seuls citoyens « actifs, » c’est-à-dire investis à un degré quelconque du droit de suffrage, que la passion nouvelle ait envahis. Tout le monde est atteint. Les enfans mêmes se préparent, sur les bancs de l’école, au métier qu’ils voient universellement pratiquer autour d’eux : ils étudient, ils apprennent, — que dis-je ! — ils savent déjà les phrases creuses et sonores, les formules qu’un futur politicien doit connaître. On les y pousse, d’ailleurs ; on leur inculque, avec les règles de l’orthographe, les principes de cette vaine science ; on leur enseigne la langue emphatique qui lui est propre, qu’on parle autour d’eux, et qu’eux-mêmes parleront à leur tour. Voici une pièce manuscrite, dont la grosse écriture hésitante et tremblée révèle des doigts rudes encore au maniement de la plume, de lourds doigts de paysan ou d’enfant : c’est une lettre adressée, en 1790, à la municipalité, par de jeunes élèves du collège de Toulon. Cette municipalité a décidé qu’on leur donnerait désormais en prix le recueil des décrets de l’Assemblée ; elle a invité leurs professeurs à « développer devant eux les principes de la constitution. » Avec une ingénuité qui prêterait à sourire, si elle n’était au fond assez touchante et n’accusait un état d’esprit qui fut général à cette époque, et où l’ironie n’a rien à voir, pas plus que dans toute autre matière de foi, — car il s’agit ici, qu’on le remarque bien, d’une véritable religion qui se fonde, le culte de la Révolution, — ces enfans s’écrient : « Notre unique attention sera de puiser, dans ces ouvrages précieux, ces maximes salutaires qui, en formant l’homme de bien, lui font apprécier ce qu’il vaut, lorsqu’il ne dégrade point, par une conduite odieuse, sa qualité primitive… Nous maintiendrons de tout notre pouvoir la constitution, nous la chanterons en
- ↑ Henry, I, 204.